“Home sweet home”, Bike&Fly en Ubaye, Devoluy et Pays des Ecrins
Interview d’Anthony sur son périple “Home Sweet Home”
Anthony, tu n’es pas à ton premier « voyage bike&fly en France » (voir encadré en bas de page) , qu’est-ce qui t’a motivé à réaliser celui-ci qui s’est déroulé dans un rayon de 60 km autour de chez toi ?
Ce projet est né d’une envie de rouler et de voler, c’est certain. Mais surtout, d’une volonté de continuer à découvrir, ou redécouvrir, les alentours de chez moi. J’ai la chance de vivre dans les Alpes du sud depuis 10 ans, dans une région qui m’émerveille au quotidien. Rando, VTT, parapente, kayak… je peux tout pratiquer à deux pas de chez moi, littéralement. Alors je me suis dit, pourquoi ne pas y voyager ?
Alors, quel circuit as-tu imaginé ?
J’ai dessiné une boucle à parcourir en quelques semaines qui partait de chez moi sans m’aventurer à plus de 60 km à vol d’oiseau de mon nid. Ne dit-on pas que l’aventure débute sur le pas de sa porte ? J’ai juste essayé de ne pas trop m’en éloigner de ma porte ! Comme une impression de voyager “dans mon jardin”.
C’est vrai, pour s’évader, on pense toujours partir loin, persuadé de ne plus rien à avoir à découvrir près de chez soi.
Oui, il est facile de croire que l’on connaît son jardin comme sa poche. Gare à l’illusion… Nous tous, voyageurs épris de découverte, avons un appétit naturel pour les destinations lointaines, pour voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Mais la conséquence est souvent carbonée… On y passe du temps dans ce jardin, mais se laisse-t-on l’occasion d’y prendre du temps ? Paradoxalement, plus le temps passe, moins j’ai l’impression de le connaître. L’explorer me procure la même sensation que l’apprentissage : plus on maîtrise un domaine, plus on réalise tout ce qui reste à apprendre. Une sorte d’effet “Dunning-Kruger“ du voyage : explorez une région et vous trouverez toujours plus de choses à y découvrir !
Qu’as-tu découvert d’autre ?
Ce voyage était également une aventure intérieure : regarder avec un œil neuf, y compris ce que je croyais déjà connaître. Sans précipitation ni contrainte. Je crois que c’est un bon exercice pour apprendre à apprécier ce que l’on a, sans courir après un toujours plus inatteignable.
Tes voyages se passent-ils donc tous en France ?
Oui, quand je dis que j’aime voyager, on me demande quels pays j’ai visités. Je réponds juste “la France”, et quasi systématiquement je devine la déception dans le regard de mon interlocuteur. Jeune, ça m’a complexé. Plus tard, j’en ai souri. D’une certaine manière, le film cherche à rendre ses lettres de noblesse au voyage local. Nous sommes si nombreux à l’apprécier, par choix et non par contrainte !.
A quelle période as-tu fait ce périple ?
C’était en octobre 2019, peu avant la pandémie : il n’y avait ni confinement ni limitation de distance, chacun pouvait voyager où il le voulait, sans contrainte. Mais je ne suis pas précurseur en matière de “voyage local”, de nombreux voyageurs s’y sont essayés. Avant le Covid, ils étaient juste invisibilisés, presque discrédités tant le dépaysement était indexé sur l’éloignement. À tort je crois.
La réalisation du film “Home sweet home” faisait-elle partie du projet ?
Non, pas vraiment. D’ailleurs, avant ce voyage, je n’avais jamais fait de film. En fait, quand je suis parti, je pensais me contenter d’un petit film souvenir de 5 minutes, à partager avec mes amis et ma famille. Pas de script, juste une envie de transmettre les sensations que je vivais. Notamment grâce à la caméra suiveuse en parapente : cette vue semble immersive pour ceux qui n’ont jamais volé… Et en ralentissant la vidéo, on échapperait presque à la gravité ! C’était un grand défi de filmer seul : les allers-retours pour installer le trépied, la gestion des batteries (panneaux solaires), la caméra suiveuse en parapente… Tout une logistique que je découvrais en voyageant !
Je t’avoue que j’ai du mal à croire qu’au départ ton idée était de ne faire qu’un « petit film souvenir ». La majorité des plans de “Home sweet home” de toute beauté révèle une vraie démarche narrative… Tes captations sont très bien construites.
Au retour du voyage, j’étais bouleversé : j’avais vécu une de mes plus belles expériences, sans partir loin. J’ai senti le besoin de la partager avec ce film. Alors j’ai tout appris, en autodidacte : le derush, le montage, le mixage audio… C’était intense ! Au bilan, j’y ai passé un temps déraisonnable, mais j’étais animé par une volonté sans faille. Le film a ensuite été sélectionné dans de nombreux festivals en France et dans le monde. À cheval sur plusieurs pratiques (aventure, vélo, parapente), il a touché un large public. Des cyclistes ont découvert le parapente, des parapentistes ont découvert le vélo. Et moi, je ne me remets toujours pas de l’accueil qu’il a reçu !
En fait, “Home sweet home” plus qu’une invitation au voyage est aussi une démarche…
Oui, avec ce film, j’ai essayé de montrer “le voyage”, plutôt que “mon voyage”. C’est pourquoi on ne me voit que très peu à l’écran. Par mon passé plutôt timide et introverti, je préfère toujours être derrière l’objectif. En fait, j’ai aussi la sensation de voir beaucoup de (très beaux !) films centrés sur des individus et leurs exploits. Le travers de cette tendance, c’est de développer le culte de la personnalité, largement encouragé par les réseaux sociaux. Simplement, je ne me reconnais pas dans cette pratique. J’ai voulu que chaque spectateur puisse se dire, après visionnage, pourquoi pas moi ? Lors du montage du film, j’ai vite compris qu’on pouvait transmettre le message de son choix. Le mien est simple : oui, on peut faire de beaux voyages sans aller loin, et sans capacités surnaturelles.
Quel est le meilleur moment de ton périple ?
Mon vol depuis la Mortice (Ubaye) reste mémorable à bien des égards.
Un matin empli d’incertitude : ciel voilé, neige sur les hauteurs, risque important de vent météo. La configuration tant redoutée où je dois faire, seul, ce choix décisif : voler ou vélo ? La vallée est si belle qu’il semble dommage de se priver d’un dernier vol par ici. En pleine négociation avec moi-même, avec un sacré risque de frustration en embuscade, je maintiens ma volonté de voler. Pour pimenter le tout, je tente d’accéder au sommet par un tracé direct, non répertorié. Ça passe, mais une fois sur la crête sommitale, je découvre avec stupeur que le vent météo est parfaitement orienté… dans la mauvaise direction ! Plein nord, l’unique orientation qui ne permet pas de décoller de cette montagne… Débute alors un assez long parawaiting. Sans moyen de me protéger du vent glacial, je finis, congelé, par pouvoir décoller : première vague de joie !
Un joli vol où j’aperçois plusieurs hardes de chamois qui cheminent sur des vires aériennes. Plus bas, le doute revient à la charge : j’aimerais atterrir sur le Châtelet, juste à côté du pont éponyme, au fond de l’Ubaye. J’y ai laissé toutes mes affaires : ma tente rouge, très visible du ciel, dessine comme une cible suspendue. Mais depuis ma sellette, j’ai l’impression de viser un timbre-poste. Pourtant, il n’y a rien d’exceptionnel en soi : la zone d’atterrissage est de taille modérée, mais le contexte m’impressionne. L’Ubaye gronde au fond d’une gorge abyssale, je n’ai aucun indice sur un éventuelle petite brise catabatique en basse couche, le hors-terrain est strictement prohibé, et la solitude ajoute à l’inquiétude. Je me concentre, les dernières secondes de vol s’éternisent, et je me pose comme une fleur devant ma tente. La suite est classique : joie, pleurs, bonheur.
Et le pire moment ?
Je répondrais pudiquement qu’il n’y en a pas eu ! Des hauts et des bas qui donnent du relief au voyage, oui. Je pourrais raconter les conditions dantesques dans le Dévoluy. Ou bien les sommets descendus à pied, la voile dans le sac à dos. Ou cette chute à vélo un matin où j’étais perdu dans mes pensées. Par réflexe j’ai protégé mon appareil photo en tombant, et du coup j’ai heurté le sol avec la tête… La bonne idée ! Le casque m’a bien protégé, mais j’ai explosé mes lunettes de soleil. Résultat : un oeil au beurre noir comme seule séquelle. À chaque fois que je rencontrais quelqu’un, je me sentais obligé de préciser que je ne m’étais pas battu… Bref, chaque mauvaise expérience laisse souvent un bon souvenir ! À condition d’en sortir indemne bien sûr…
Des projets de voyages, de films ?
De voyages: beaucoup ! De films : oui, après cette première expérience, j’aimerais filmer des gens qui ont un chouette projet… parmi tes lecteurs qui lisent ces lignes ? On peut me contacter à @thonykom