Les nuances entre pilotes journaliste, d’essai ou d’homologation
Laurent Van Hille, 42 ans, a découvert le parapente à 15 ans à l'école Les Choucas à Mieussy : "Ma vie était foutue! Voler est alors devenu une obsession. J’ai fait abstraction de tout le reste. Il n’y avait plus que ça qui comptait". Il passe le BEES entre 1993 et 1995 et commence à enseigner plusieurs années aux Carroz, à Mieussy, Samoens, Morzine pour finalement racheter les Choucas en 2000. En parallèle, il commence à faire de la mise au point avec Olivier Caldara puis conçoit les voiles Skim et Kenzen (Bio Air Technologies) et devient pilote testeur pour Parapente Plus en 2012.
Laurent, peux-tu nous décrire quelles sont les distinctions entre les pilotes d’essais des magazines et ceux qui réalisent les tests de nouvelles voiles?
Pour moi, il existe trois types différents de pilotes d’essais : le journaliste, le pilote de mise au point d’une marque et le pilote d’homologation.
Le pilote journaliste
Le journaliste (ou plutôt pigiste) va recevoir une aile en prêt et devoir en sortir un article de 1 à 3 pages. Pour ces types d’essais, il faut une sellette ou deux (selon le type d’aile essayée) et il faut ne voler qu’avec ces sellettes-là, afin qu’elle ne vienne pas polluer pas l’essai. Il faut être équipé d’un vario-GPS avec sonde de vitesse déportée pour les mesures (c’est la partie la plus galère). Puis il faut voler…
Chez Parapente Plus, nous avons des fiches d’essais type que nous ne sommes pas obligés d’utiliser. Moi, j’ai les miennes, l’important, étant de ne rien oublier. Il faut aussi prendre des photos de tout ce qui peut être intéressant sur la voile comme les élévateurs, le bord d’attaque, le bord de fuite… Il en faut un max parce qu’on en a toujours besoin quand on rédige le texte pour se souvenir.
Le test du pilote journaliste
Peux-tu nous dire comment se déroule un test avec toi? Combien de vols fais-tu avec une aile pour en faire le tour?
Je compte entre 3 et 5 vols de mesure le matin (le plus tôt possible, mais de toute façon, c’est jamais immobile). Et pour chaque vol (bon chez nous, y’a 1000 m de dénivelé), j’essaye de faire au moins 2 polaires complètes. Si je fais la première plein Nord, je fais la suivante plein Sud. Ca permet de connaître la tendance du vent météo. Après, je rentre les vitesses (vitesse verticale vario, vitesse GPS et vitesse sonde déportée) sur une feuille excel. Je cherche ensuite les mesures « types » (VMini (parachutale), VMax bras hauts, T/C mini, finesse max). C’est plus de la cuisine que de la physique. Je cherche les mesures qui reviennent souvent d’où l’intérêt d’avoir beaucoup de vols et des polaires avec des positions gardées longtemps.
J’ai un ami (merci Marc) qui m’a fait une feuille de calcul excel dans laquelle je rentre mes mesures types. Il me sort un graphique qui me permet de savoir si ce que je sors est cohérent ou non visuellement. Parfois, il me faut 3 jours pour tomber sur un truc bien, parfois ça marche la première fois (enfin la première fois, c’est jamais arrivé).
Puis il reste les mesures premier barreau et à fond d’accélérateur. Aujourd’hui, on a de plus en plus de voiles, dès les EN B, qui ont une meilleure finesse légèrement accélérées. Donc le premier barreau, c’est assez important de faire pas mal de tests entre 0 et 4-5 cm d’accélérateur. Enfin, je finis par les oreilles (taux de chute non accéléré et accéléré à fond). Et là, j’ai fini pour la polaire…le plus pénible!
Après, je profite des vols du matin avec les élèves pour faire une liste d’exercices types :
– amplitude aux commandes,
– frontale (pour voir comment elle ferme et surtout comment elle raccroche),
– « B » que je relâche tout doucement, pour savoir si elle ressort seule d’une phase parachutale (sans les commandes dans les mains)
– asymétrique 50 et 50 accélérée à fond (sans les commandes dans les mains),
– la mise en virage : l’idée, c’est surtout de dire si elle est physique en virage ou non, régulière et progressive à la commande,
– mise en 360° (je regarde le temps qu’il faut pour atteindre -10 m/s et je fais une fois une sortie dissipée sur un tour et une autre fois une sortie chandelle.
Après, je regarde le pilotage qu’elle demande :
– en tangage,
– en roulis sellette,
– en roulis sellette-commande (des wings-over),
– en inversion de virage 180°. Là, c’est le temps qu’il faut pour passer d’un virage à un autre sans se servir de l’effet pendulaire en gros que je regarde.
Enfin, j’essaie de faire au moins deux heures de vol en thermique, si possible, dans différentes conditions. L’idée est de savoir si elle est intuitive (comment elle transmet la masse d’air, si elle est physique au bout de 30 minutes ou non, si le pilotage se fait plutôt sellette, commande ou les deux.). C’est là qu’on sait si elle est homogène (monobloc), si elle a tendance à aller devant ou à rester calée derrière… Dès que j’ai posé, je prend le calepin et je note tout ce qui me passe par la tête, histoire d’en oublier le moins possible.
Comment garantis-tu la justesse de tes mesures, pour les vitesses max, décrochage…?
Alors d’abord, je vais parler de la garantie des mesures. Honnêtement, je ne les garantis pas, les vitesses! C’est irréalisable. On essaie d’être le plus juste possible pour le fabriquant. Mais globalement, je suis toujours un demi-point de finesse en dessous des mesures de la marque. Mais on est en altitude, et puis les performances «pures» ne sont pas les performances les plus importantes. Ce sont les perfs exploitables qui sont importantes et la pénétration dans la masse d’air.
Pour les VMax, c’est vraiment les plus simples. Poulie contre poulie… Une fois vers le N, S, E et O et je fais la moyenne. Pour le décro, en fait, c’est la vitesse de parachutale qu’on retient. On ne fait pas vraiment décrocher l’aile. On attend de passer le point dur de la commande. Donc, la vitesse la plus basse avant accélération = V mini.
J’en profite pour dire que ma feuille de calcul tient compte du fait que la vitesse mesurée est, soit celle de la sonde (donc sur axe), soit celle du GPS qui est horizontale. Il y a un angle entre les deux qui, selon, peut faire varier la finesse de manière importante si on en tient pas compte.
L’article du pilote journaliste dans le magazine
Comment fais-tu pour essayer d’être le plus objectif possible?
« Je jure sur la bible ! ». Ben non, mais c’est juste ça. J’essaye d’être le plus objectif possible. Je fais mes essais de mon côté avant de prendre n’importe quel avis sur la voile que j’essaie. Je note mes impressions et, généralement, j’ai 2 à 4 autres pilotes à qui je fais essayer l’aile avec une feuille A4, leur demandant de la remplir rapidement… Je fournis la feuille et le stylo, comme ça, je suis certain d’avoir les infos. C’est pas mal parce que, comme c’est souvent les mêmes, je sais plus ou moins comment ils devraient répondre… Cela m’est déjà arrivé de refaire un test parce que le ressenti n’était pas le même. Cela arrive souvent sur un point assez subjectif : la dureté à la commande (la voile est-elle physique ou non?).
Pour en finir sur cette dernière question d’objectivité, Michel Ferrer, rédacteur en chef de Parapente Plus nous demande davantage de construire nos article sur le «feeling» que sur les mesures! En gros, ce qui lui paraît important, c’est qu’on donne un VRAI ressenti. Et c’est difficile de transmettre un feeling de manière subjective (je sais pas si je me suis bien faut comprendre là ???).
Et du point de vue du style, êtes-vous bridé par le rédacteur en chef? Ne subissez-vous pas trop la “pression” de la marque qui est aussi annonceur dans le magazine?
Absolument pas ! Enfin, en tous cas, moi je ne le suis pas du tout. Michel me laisse vraiment beaucoup de liberté. Il apporte très peu de modifications, pour ne pas dire aucune. Et vraiment Michel n’est pas du tout un rédacteur en chef qui marche à la pression. De plus, il a toujours un article ou deux sous le coude, des fois qu’on ne puisse pas finir un article dans les temps pour raison météo ou autre. Donc, non. Vraiment les tests pour PP+, ce n’est que du bonheur!
Mes premiers articles ont été très académiques, on veut d’abord faire plus plaisir au rédacteur en chef qu’au lecteur, puis progressivement, on se lâche un peu pour finalement avoir son propre style.
Plusieurs pilotes m’ont déjà demandé comment faire pour devenir pilote d’essai pour une marque?
Il faut déjà commencer par demander. Envoyer un mail à la rédaction. Moi, j’ai demandé longtemps avant de faire mon premier essai! Et je crois que mon premier essai, j’ai dû garder la voile 2 mois! Je me suis mis une grosse pression.
Le pilote de mise au point
C’est déjà un club beaucoup plus fermé. D’autant que le pilote d’essai influence le produit fini. C’est de moins en moins vrai aujourd’hui, avec l’efficacité des dernières versions des logiciels de conception, mais les pilotes d’essais influencent malgré tout le « produit fini ». Un pilote qui arrive dans une marque travaillera de manière intermittente au début (les débuts pouvant être très longs) et son travail consistera à voir si la voile est conforme aux tests d’homologation. Donc, il faut étudier les tests et pratiquer, pratiquer.
Il faut une sellette, un gilet de sauvetage à déclenchement automatique et un VOX haut de gamme… Dans les bas de gamme, on entend rien.
Et pour la mise au point, là on change de secteur. C’est un mélange de feeling et de connaissances en mécanique. Les connaissances en mécanique ne sont pas indispensables mais elles font gagner un temps précieux. Aujourd’hui, lorsqu’une aile sort d’un ordinateur, elle vole, c’est une certitude. Mais c’est le pilote test, le “metteur au point” qui va finaliser ce travail.
Il va travailler sur 3 axes bien distincts, tout en sachant que lorsqu’il modifie un point, une chaîne de conséquences va arriver.
Par exemple, tu as une voile avec des plis sur les trois derniers caissons fermés. Dans un premier temps, tu vas regarder si tu peux les retirer en jouant sur le suspentage… Et oui, tu y arrives. Mais en même temps, tu as modifi” le vrillage. Il faut donc refaire toutes les manœuvres liées au vrillage.
Les pilotes d’homologation
On connaît les types de tests qui sont faits quand une aile est mise à l’épreuve lors des tests d’homologation (tests de résistance, tests hors domaine de vol). Quelles sont les grandes différences des tests comparées à ceux du pilote journaliste?
Ca n’a rien à voir en fait. Pour un test d’homologation, on applique un protocole. Autant de fois que nécessaire jusqu’à ce que le pilote ait bien fait son travail. Par exemple, pour une fermeture asymétrique 50%, on retire les mains des commandes (pour être certain qu’aucune commande ne puisse être actionnée), on se met face caméra (pour pouvoir bien mesurer les angles), puis on actionne l’avant et on commente (c’est le plus difficile) pendant l’action. A la limite, je dirais qu’il y a plus de possibilités dans le domaine de l’homologation (en termes de travail) que dans l’écriture. C’est un boulot où il faut vraiment être ZEN dans la tête. Je suis content d’avoir essayé, d’avoir eu des conseils avisés, mais ne pas avoir persévéré ne me pose aucun problème.
Il faut bien des pilotes pour passer les homologations. C’est tout un protocole de tester une aile. Ca n’a rien de «facile», même avec des ailes de catégories A et B (où les « vracs » sont moindres, … quoique). Chaque aile est testée en bas et haut de fourchette et toujours de la même manière… Si le pilote change, le test doit être le même! Les tests sont, bien entendu, faits en milieu aménagé (au dessus de l’eau). Ils sont filmés, commentés par le pilote en même temps qu’il fait la manœuvre. Si certaines manœuvres ne laissent aucun doute quand au résultat du test, il arrive que les tests doivent être refaits.
Je ne suis pas du tout un spécialiste de ce milieu. Mais je ferai (j’espère bientôt) un petit article ou une interview pour ROCK THE OUTDOOR. J’admire les pilotes de test. Ils fournissent un travail très rigoureux et engagé.
Propos recueillis auprès de Laurent Van Hille
Pour la petite histoire
Comme j’étais très investi dans les mini-voiles, j’ai eu la chance de travailler comme metteur au point pour Bio Air Technologies (J’ai principalement mis au point La Ski’M et la Kenzen). J’ai aussi bossé quelques jours avec l’équipe d’Alain Zoller (Air Turquoise) sur des projets d’homologations des mini-voiles. C’était très intéressant de mettre en place les procédures, de mentaliser le vol avant d’y aller, … Et puis ça secoue au niveau adrénaline ! On a beau avoir confiance dans l’aile que l’on test, j’ai toujours eu une petite décharge d’adrénaline juste avant certains tests.
C’est grâce à Olivier Caldara (concepteur de cette voile) que j’ai commencé la mise au point des voiles. Et le Bi bionic 37 était le tout premier. Un peu plus de – d’allongement… Bon la forme, on aime ou on aime pas. Mais en tous les cas ça volait sacrément bien !
Puis Olivier m’a fait MA voile… Mon cahier des charges. La Ski’M 12 m². Une année de mise au point. Mais une belle réussite qui existera en 15 m2 un peu après.
La Kenzen. Dernier proto qu’on a fait. C’était une aile sortie école qui sortait tout en EN A… Mais on avait plus de pognon pour faire les homologations. C’est pas grave on a perdu des tunes, mais appris plein de trucs et qu’est-ce qu’on s’est marré !