“Le thermique improbable”, de Philippe Thouzeau
Philippe THOUZEAU est moniteur BEES Parapente, moniteur fédéral de deltaplane et instructeur ULM. Il n’a pas respecté toutes les règles du concours mais son article vaut la peine d’être publié…
L’hiver pointait son chapelet de froidure et de frissons. Les brumes du matin nous rappelaient que notre pays est tempéré et heureusement balancé entre quatre saisons… Il faisait déjà un peu froid et je n’avais plus beaucoup de chance de rencontrer des conditions favorables…
Les jours précédents, j’avais, comme d’habitude, travaillé à renforcer ma tendinite cervicale à force de guetter le ciel. Au boulot, on m’appelle « la corneille » parce qu’il parait que je baille en compagnie de ces gallinacés!
-Pfuuu ! N’importe quoi ! Je regarde juste les « conditions » toute la semaine en espérant que la météo soit « bonne » pour le week end ! C’est d’ailleurs à ça qu’on reconnaît un parapentiste, non ?
Bon ce samedi s’annonçait sympa, mais très stable… Un anticyclone recouvrait le pays.
Je décide donc de prendre mon aile de rando et de partir faire « un plouf » trinquille… (avé l’accent du sud…). J’aime ces moments de montée au déco alors que l’on sait d’avance que ce sera paisible, facile et doux… Quelques restes de gelée ici et là me confortaient dans ma prévision aérologique plutôt molle…
Quelques chamois gambadaient en se foutant totalement de moi et de mes grosses chaussures bien bruyantes. Si si, y en avait même deux qui s’adonnaient au simulacre de la reproduction… (On est en hiver hein faut suivre !)
Dans le fond de la vallée, les cheminées montaient droites et un troupeau de bovins tachait un grand pré. C’était parfait !
Je casse une petite graine après une montée de deux heures à mâchouiller mon brin d’herbe. Bon sang que le vin est bon au-delà d’une certaine altitude ! La gourde se vidait directement dans mes chaussettes en passant, bien sur, par mon gosier ! Pâté de campagne, saucisson d’âne et crottes en chocolat plus tard, je décide de faire une sieste vu que le vent n’est pas encore « de face »…J’étais seul et rien au monde ne m’aurait fait quitter ce paradis.
Il faut vous dire que le décollage du Mont Revard est un modèle du genre : pente herbeuse délicate, inclinaison parfaite, des manches à air autant qu’un vicaire peu en bénir et de la place pour tout le monde… Sans parler des conditions et de la plus belle vue du monde… mais là, ce jour là, c’était stable, brumeux… Aucune chance de rencontrer un thermique. J’avais le temps…
Après un rêve merveilleux dont je tairais le contenu par respect des jeunes lecteurs, je décide de décoller vu que le vent est toujours minable, voir nul, ce qui est un progrès somme toute… Vous suivez ?
Démêlage et pré-gonflage effectués, je fais ma pré-vol et m’apprête à décoller, avec cette grâce et cette aisance que je suis le seul à connaître… Et, comme il y a surement un « bon Dieu » pour la racaille, je finis par décoller d’un geste que le monde entier (du parapente) m’envie… Tant de compétences dans un corps aussi bien fait, ça laisse pantois ! (m’en fous, c’est moi qui écris et je dis ce que je veux !) Bref je décolle !
Comme prévu, c’est la dégringolade le long des falaises et je prends rapidement la direction de l’atterro. Le survol des premiers prés dans du velours est toujours un grand moment de calme et de paix. Le terrain se rapproche et je survole le grand pré taché d’un troupeau de vaches dont je commence à entendre les clarines. Une odeur de campagne flotte dans l’air. Vive la montagne !
Tout à coup… ressource, puis abattée…
Ce n’est pas un troupeau de bœufs qui peut déclencher un thermique?
Autant vous dire que je suis réveillé, et que mes velléités Lamartinesques se calment fissa ! Quépassa ? Je retourne voir, vu que la curiosité me taraude, que le doute m’habite… Et re-pif-paf ! Même punition…
Alors là je questionne, je m’interroge, je suppute… Analysons : je suis en pleine plaine… loin du relief… par un bel anticyclone bien stable…sans une nuelle en vue et pas un souffle de vent. Mais bon sang, que se passe-t-il donc ?
Derechef et illico, je retourne dans la zone de mes questionnements afin d’en avoir le cœur net et les basquettes aussi.
Evidement, la même chose se produisit, mais comme je passais et repassais dans la zone, mon petit vario solaire se mit à chanter la mélodie du parapentiste heureux… J’étais dans un thermique !
Aussitôt compris, aussitôt incliné, j’enroulais un courant ascendant improbable et certainement pas décrit dans les livres de Gérald DELORME (si tu m’entends !) Autant vous dire que j’étais joyeux de prendre de l’altitude dans ce petit 1 m/s. Pendant 20 minutes, j’ai enroulé cette « bulle » magique sans comprendre ni comment, ni d’où elle venait… Les cloches des vaches accompagnaient la chanson que je fredonnais : du Mike Brant…et oui, j’aime Mike Brant c’est comme ça ! On a beau être des aventuriers, on a le droit d’être un brin fleur bleue…
Bon, je reviens à mon improbable… Un petit m/s doux mais un poil odorant. Vous ai-je dit que je survolais un troupeau de bovidés tâcheurs ? Curieusement, le thermique semblait se déplacer avec le troupeau ! Ce n’est pas un troupeau de bœufs qui peut déclencher un thermique en plein hiver alors que l’hémagramme du jour a un air plus que penché ! Mais alors comment, pourquoi ?
Au bout d’un moment, le froid piquant me fait quitter la douce tiédeur de la zone favorable. Je rentre au bercail.
Ah ! De l’air frais ! J’avais passé 20 minutes à respirer une odeur pestilentielle… Je sinusosoïde jusqu’au terrain avec un gros point d’interrogation à la place du cervelet. Mais comment est-ce possible ?
Je me pose élégamment sur le pré au troupeau, près du berger somnolant et de son Patou gambadant.
– Oh le pilote ! Vas pas me les effrayer !
– Excusez-moi, je fais vite !
Et je plie mon aile avec la discrétion qui me caractérise…Mais toujours cette odeur !
Après le pliage, le bavardage… Je taille la conversation avec le berger…
– Dites-moi, d’où vient cette odeur ? C’est vos bêtes ?
– Hé ouais, on vient de leur donner leur traitement contre les vers, alors ça les fait péter !
Le jour se leva d’un coup dans mon cerveau figé par le questionnement ! Ca les fait péter ! Mais bon sang, mais c’est bien sur ! Ca les fait péter !
Voila mon thermique ! Du pet de bovins ! Du pet de vaches ! J’aurais embrassé le berger s’il n’avait pas eu cet œil humide et douteux…
J’avais enfin compris pourquoi j’avais rencontré un thermique en cette saison, un peu odorant, certes, mais qui m’avait offert 20 minutes de vol au paradis…
Philippe Thouzeau