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La “Bataille dans les nuages” de Maxime Pinot en Inde

La “Bataille dans les nuages” de Maxime Pinot en Inde

La dernière manche de la PWC en Inde fut l'une des plus excitantes que Maxime Pinot ait connue. Littéraire, il a posé sur une feuille ce "dernier jour sous haute tension". Une bonne occasion de découvrir ce qui se passe dans la tête d'un compétiteur haut niveau poussé par la rage de vaincre mais pour apprécier aussi tout le cheminement mental qui le guide vers des choix tactiques pour rester devant et sortir du troupeau au bon moment... Et bravo pour le style, Maxime manie la plume aussi bien que les arrières!

La performance est chimérique. Elle n’est en aucun cas une, elle n’est pas lisse comme la pierre polie des années durant par l’eau de la rivière. Elle est disparate, couverte d’aspérités. Elle est le lion, la chèvre et le serpent. Elle en prend le meilleur et le pire. Elle est Cerbère, le chien à trois têtes: rationnelle, autant que mystique, et finalement de cette rencontre naît la troisième partie du triptyque: l’improbabilité d’une concordance quasi parfaite des éléments.

Drôle de vision. C’est mon dessein, compétition après compétition, d’essayer de percer un petit plus cette chose après laquelle nous, compétiteurs, courons.

Tout est calme là-haut, alors que jamais la concentration n’a été si forte. Seul le bruit du vario vient secouer l’apathie des nuages qui nous regardent nous accrocher à leurs barbulles. Puis vient l’heure de passer la ligne virtuelle du start, la dernière de la semaine.

Tout le monde s’élance dans la plaine froide où règne la stabilité. Chapeautant la troupe en compagnie du groupe de tête, bras rentrés, je me laisse bercer par ma voile. Quelques secousses, je me décale à droite à la recherche d’une ligne cachée. Petit à petit, mes camarades disparaissent sous moi. Moment parfait. Je souffle, expulse les derniers restes d’anxiété, les derniers restes de stress. Au milieu du ciel, entre les nuages, dans cet élément du monde que j’ai peut être le mieux compris, appréhendé en tout cas, je me sens comme à la maison. J’ai longtemps pensé que mon mental ne me permettrait pas de réaliser ce que je rêvais d’accomplir. Je me souviens de ce gamin qui jouait au tennis, réglé à l’entraînement, tétanisé en compétition. Aujourd’hui, l’enjeu me fait du bien.

Photo : Maxime Pinot

Photo : Maxime Pinot

De retour au relief, nous voilà en train de naviguer, appuyés sur les brises et déclenchements. Bout d’aile caressant les feuilles, la sensation de glisse est à son apogée, le pilotage millimétré. Tout est dans le dosage de l’accélération, ni trop, ni trop peu. Il faut se maintenir juste au niveau de l’arête sommitale, et surtout ne pas fermer. La Enzo s’en donne à coeur joie dans ce long cheminement, rebondissant au gré des courants, dans les contre courants, convertissant chaque soubresaut de la masse d’air alors que nos ombres nous pourchassent à travers la végétation et la roche.

Une toute petite erreur peut se payer cache. Un régime de vol quelques km/h trop élevés, un flottement manqué et me voilà à naviguer une centaine de mètres sous le groupe. Sors de cette posture désagréable, au plus vite…

Alors on aiguise de nouveau un peu plus sa vision, on traque la ligne favorable, on écoute ses sensations. Et dans le thermique suivant, on donne tout. L’écart s’amoindrit, le rythme cardiaque redescend, me voilà de retour dans cette douce berceuse qu’est le groupe.

Photo : Maxime Pinot

Photo : Maxime Pinot

Tous les leaders sont dans la tête de course. Une situation délicate. Tous se défient mais tous s’annulent. Rien ne sert encore de courir, il est trop tôt. Repose toi sur le groupe, économise ton énergie, le moment n’est pas venu. Laisse toi emmener, guider. Aiguise ta vision pour les contrôler. Replace toi à la vitesse de l’éclair, chaque seconde compte. Quel jeu…

La mi course est déjà là. Le rythme monte encore d’un cran, mais rien ne bouge chez les protagonistes. Tous sont fixés sur leurs rails, au maximum de ce qu’ils savent faire. Au retour d’une nouvelle balise en plaine, j’accélère le rythme, prends les devants. J’aimerais étirer ce wagon trop compacte, trop bien réglé, essayer de faire manquer un cycle à une partie d’entre eux, à la faveur d’une ombre grandissante dans les montagnes. Cela semble marcher l’espace de quelques minutes. Mais tous reviennent comme des furies dans le thermique. Je me calme, souffle, repasse sur un mode plus contrôlé de nouveau. Ce n’est plus le moment. Accepte leur retour.

Photo : Maxime Pinot

Photo : Maxime Pinot

Le combat tactique fait rage, mais l’autre partie de mon cerveau tire la sonnette d’alarme quant aux conditions. L’ombre se propage, tout se calme. Le groupe se scinde une nouvelle fois, entre deux zones ascendantes proches. Mais c’est la zone que je suis allé chercher qui est la plus généreuse et nous permet de prendre un avantage certains avant un glide désespéré en direction des premiers tâches de soleil, en passant par une balise avancée, à plus de dix kilomètres de notre position.

Le changement de rythme est énorme. Mais je domine la situation, en compagnie de Jurij, alors que le groupe de Julien, Michael et Xevi navigue dangereusement bas dans nos pieds. Puis ils trouvent une bulle. Nous arrivons par au dessus. Et rien. Elle leur aura simplement permis de se remettre à notre niveau… revoilà le groupe soudé, à moins de quinze kilomètres de la fin de course.

Mais notre glide désespéré n’est pas terminé. Nous voilà très bas, arrivant à la limite ombre/soleil. Alors que les champs en terrasse nous appellent avec force, aidés par la gravité, le groupe ratisse en quête de survie. Des zéros, puis le déclenchement salvateur…

Photo : Maxime Pinot

Photo : Maxime Pinot

Le combat reprend d’emblée. Ce thermique est d’une importance capitale. Nous fuyons cette terre inerte en direction du ciel. Puis la montagne, la dernière balise… tous sont là. Sauf Xevi, légèrement décroché. J’utilise ma dernière cartouche, partir dans leur dos pour la speed section…

Lancé dans un dernier plané rageur, à fond, je ne touche plus à rien, économisant chaque km/h. Les jeux sont faits… J’ai tout donné. Eux aussi.

Les pieds au sol, je suis assommé. L’intensité de la course fut incroyable. Tous se félicitent, la compétition se termine. De beaux moments, encore et toujours.

Puis les résultats sortent. Au pied du podium, quatrième, je sens la déception monter en moi. Que ne donnerions nous pas dans ces moments pour un court retour en arrière ? Changer une décision, simplement, suffirait. Mais heureusement, nous ne le pouvons pas. Sinon le jeu ne vaudrait plus rien.

Bientôt viendra un nouveau combat, un nouveau jeu d’échecs au milieu du ciel, à essayer d’attraper la chimère, dans cette nébuleuse des nuages.

Maxime Pinot

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Photos : Maxime Pinot

Podium PWC India 2015. 1- Michael KÜFFER (CHE) / 2- Xevi BONET DALMAU (ESP) / 3- Julien WIRTZ (FRA) / 4- Maxime PINOT (FRA)

Photo : Marina Olexina
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