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La voltige en parapente : vers un avenir loin de la FAI ?

La voltige en parapente : vers un avenir loin de la FAI ?

Maël Jimenez, reporter ROCK THE OUTDOOR spécialisé parapente acrobatique, s’est interrogé sur les nouveaux formats de compétitions en voltige qui se développent depuis quelques années et qui semblent progressivement séduire les pilotes et le public (Acro Game et Sonchaux Acro Show). En face, il s’avère que le format – dit “classique” – proposé par la FAI correspond de moins en moins aux évolutions que connaît la discipline qui se complexifie chaque année un peu plus et dont les règles actuelles semblent priver les pilotes d’une certaine liberté d’expression technique et artistique..

Si le format de compétition FAI a permis à la voltige de gagner ses lettres de noblesse et une certaine visibilité auprès du public profane, il empêche ses pratiquants les plus assidus d’emmener la discipline vers des horizons nouveaux…

Sommaire

Introduction

1- Le Label FAI : avantages et contraintes

1.1) Mais qu’est-ce ?

1.2) Les chiffres

2 – Le Format FAI et ses limites

2.1) Qu’est-ce ?

2.2) Un format qui confine ?

2.3) Les juges

3- Le posé 3-6, un paradoxe épineux ?

3.1) La clé du spectacle

3.2) L’envers du décor

Conclusion

Voilà près de vingt ans que le milieu du parapente s’est vu transfiguré par l’apparition de la voltige, laquelle accélérant dans son sillage à la fois le progrès technique matériel et des compétences de pilotage. La variété, somme tout assez restreinte, des premières figures a permis le développement des compétitions au format dit “classique” qui représentent le format le plus répandu aujourd’hui. C’est le format adopté par les manches de l’Acro Paragliding World Tour (APWT), du Championnat de France et ainsi toutes les compétitions estampillées FAI (Fédération Aéronautique Internationale) depuis 2006 (Villeneuve).

Si, pour de nombreuses raisons, ce format a en partie permis à la voltige de gagner ses lettres de noblesse et une certaine visibilité auprès du public profane, il me semble (et je parle ici d’une opinion quasi strictement personnelle) qu’il affame progressivement la voltige de l’une de ses caractéristiques fondamentales : la liberté d’expression technique et stylistique pour les pilotes et une contrainte majeure pour l’Organisation ; empêchant par la même ses pratiquants les plus assidus d’emmener avec eux la discipline vers des horizons nouveaux.

Je tiens à préciser ici que mon objectif n’est pas de critiquer, arme au poing, un système d’organisation dont je connais encore trop peu les rouages, mais de poser un regard analytique sur ce qui m’apparaît aujourd’hui être une impasse surmontable qui allouerait à la voltige une plus importante visibilité auprès du grand public tout en permettant d’agrandir l’espace d’expression des pilotes. Cette dernière étant, selon moi, l’une de ses formes d’art sportif qui gagnerait à voir tomber ses cloisons. À noter, puisqu’il le faut, que l’écho de cet article reste alimenté par certains des meilleurs pilotes du monde…

1- Le Label FAI : avantages et contraintes

1.1) Mais qu’est-ce ?

La FAI pour Fédération Aéronautique Internationale est une organisation internationale à but non-lucratif qui structure les disciplines en donnant un cadre légal à l’organisation des événements sportifs à travers le monde. Pour l’organisation d’une compétition de voltige, on peut considérer le parrainage de la FAI comme un label garantissant la légitimité de l’événement. C’est également sur les résultats des pilotes participant à ces compétitions qu’est basé le fameux “classement” FAI supposé rendre compte du niveau des pilotes y étant classés.
Cependant pour qu’une compétition puisse se voir estampillée dudit label il est nécessaire qu’elle remplisse un “cahier des charges” ce qui amène systématiquement un panel de contraintes.

1.2) Les chiffres

Pour une compétition de catégorie 1*, comme la Coupe du Monde à Annecy l’année dernière (2016), l’organisation globale de l’événement a représenté un coût avoisinant les 125000€** (pour vous donner un point de comparaison, les Acro GAME 2017 d’Organya ont coûté environ 12000€). Les compétitions de catégorie 2*** (par exemple les manches de l’APWT) ont un coût inférieur, pour sûr, mais restent tout de même sur des budgets conséquents.
Outre le budget d’un tel label, c’est principalement le format qu’il impose aux pilotes qui appose un grand point d’interrogation sur l’avenir de la voltige.

* pour plus d’informations voir :
http://www.fai.org/civl-events/organising-events/161-civl/2258-civl-category-1-championships
** pour le détail précis des coûts voir le pdf suivant : https://drive.google.com/open?id=0B-V4bqqvIneacGhHd1NxOE04N1k*** http://www.fai.org/civl-events/organising-events

2 – Le Format FAI et ses limites

2.1) Qu’est-ce ?

Le format classique des compétitions de voltige est défini par la FFVL comme l’exécution “d’un nombre de figures imposées ou libres sous le regard de juges qui attribuent plusieurs notes à la prestation réalisée. La notation comporte 3 parties : une note technique (40%) qui découle de l’exécution des figures, une note dite de chorégraphie (40%) qui témoigne du déroulement du run et une note en relation avec la qualité et l’engagement du posé (20%).” Le principe semble permettre de juger du niveau technique de chaque pilote de manière rigoureuse, mais il est légitime de se demander s’il ne sclérose pas, d’une manière ou d’une autre, la discipline.

Didier Eyraud et Marion Rey, jury lors du championnat de France 2017

2.2) Un format qui confine ?

Le système de notation officiel (FAI) * solo inclut 27 manoeuvres, de la Marche Arrière au Misty to Tumbling qu’il n’est possible d’exécuter qu’une seule fois pour chaque côté et twisté (ce qui rapporte un pourcentage de points en plus en fonction de la manoeuvre mais qui n’en fait pas une manoeuvre à part entière) ou non. Les runs sont souvent assez courts (cinq à sept manoeuvres en moyenne) et dépendent de l’altitude d’arrivée dans le box. Les pilotes doivent également gérer leur placement en fonction de la force du vent qui peut faire dériver pendant le run. Les “écarts” des pilotes en matière de sécurité sont sanctionnés par un carton jaune (voir le 2.6.3 de l’annexe en lien en bas de page pour le détail).

* En ce qui concerne la complexité de la notation, je laisse au lecteur curieux le choix d’aller se documenter en lisant le fichier suivant : https://drive.google.com/open?id=0B-V4bqqvIneaa3dPbW5BSkdFY3JZMUs0Y3B6dXl2enhTcXdj

L’enchaînement des figures est également codifié et il n’est, par exemple, pas possible d’effectuer un Héli to Sat Rythmique ou même de terminer son run par une figure à gros coefficient. Enfin, la voltige moderne (celle qui est pratiquée par l’élite au moment où j’écris ces mots) s’est énormément complexifiée ces dernières années et les règles FAI ne permettent pas par exemple de distinguer un “Opposite MacTwist” d’un McTwist tiré du même côté de la prise de vitesse. Pourtant, ces petites variations qui pour l’oeil profane sont quasi imperceptibles, font une grosse différence pour les pilotes qui les exécutent et peuvent rendre compte du niveau de maitrise technique de chaque pilote.

On admettra sans broncher qu’organiser des compétitions de cette ampleur nécessite une structure rigoureuse, mais est-ce vraiment justifié et nécessaire ? Le public est-il plus satisfait ? Vient-il en plus grand nombre lorsque la compétition est estampillée FAI ? Les pilotes trouvent-ils toujours ce format intéressant ?

2.2.1) Pour le public

Il faut savoir que, pour le public profane, assister à une compétition de voltige c’est regarder des gens faire des pirouettes dans le ciel sans savoir jamais distinguer les figures les unes des autres, ni l’engagement ni le niveau de technicité qu’elles requièrent. Regarder comme cela les pilotes passer les uns après les autres ne permet pas non plus d’identifier les différences de niveau technique et artistique de chaque pilote puisqu’on ne peut pas les comparer sur l’instant. Enfin, si l’on s’en réfère à l’histoire des “jeux” (Gladiateurs, Tournois de chevalier, Course de chars, Jeux Olympiques, etc.) les plus grands spectacles et le plus grand engouement n’allaient-ils pas aux événements qui mettaient en scène des affrontements entre champions (ou équipes de champions) ?

Run final à l’Acro Game 2017 entre Théo de Blic et Horacio Llorens

2.2.2) Pour les pilotes

On peut également se demander si le cadre d’évolution des pilotes au sein de ce format (FAI) ne bride pas d’une certaine façon leur créativité. A vrai dire, toutes les contraintes énumérées dans le 2.2 obligent les pilotes à évoluer dans un cadre très strict et, au regard des fondamentaux actuels de la discipline, ne laissent que très peu de place à l’expression technique et artistique de chaque pilote. Cadre qui saute soudain aux yeux lorsque l’on en sort en assistant à des compétitions comme l’Acro GAME ou le Sonchaux Acro Show qui ont choisi d’adopter un format de “duels/battles” et dans lesquelles l’Acro a probablement trouvé son format le plus intéressant. En effet, les battles fonctionnent comme un combat à mort dans l’arène. Chaque manche voit s’affronter deux pilotes l’un contre l’autre ; chacun doit, tour par tour, exécuter une manoeuvre (ou un enchaînement de manoeuvres) qui mettra l’autre dans une situation inconfortable. Presque systématiquement, lorsque l’un des deux ne parvient pas à reproduire aussi proprement (ou qu’il échoue carrément) la figure de l’autre il prend une lettre (A-C-R-O) comme une pénalité, et ainsi de suite jusqu’à ce que le premier à compléter le mot soit éliminé. Ce format pousse non seulement les pilotes à prendre de vrai risques techniques (exécuter des manoeuvres ou des enchaînements difficiles et qui ont un pourcentage de réussite faible) mais également, en l’absence de figures imposées par une liste bien définie, à bien plus d’originalité en leur laissant le champ libre pour créer des enchaînements inédits voire même de nouveaux tricks (manoeuvres).

2.3) Les juges

L’une des nombreuses autres questions que l’on peut se poser, et qui circule beaucoup entre les pilotes, relève de la compétence des juges des compétitions FAI. Je n’entends pas par là que les juges sont incompétents mais plutôt qu’au regard du niveau technique actuel des pilotes – qu’il faut nécessairement reconnaître comme bien plus élevé et complexe d’années en années – couplé au fait que la plupart ne sont même pas pratiquants eux-mêmes, ils puissent perdre leur légitimité. Il n’y a qu’à voir la difficulté qu’a connu Pal Takats pourtant inventeur de la plupart des figures que l’on voit aujourd’hui en compétition, à juger les figures imposées par les compétiteurs lors de l’Acro GAME 2017 (Organya). Le problème peut être tourné de cette manière : le format FAI actuel n’est-il justement si peu “flexible” que parce qu’il peine à admettre que la discipline lui échappe progressivement ? Qu’il continue de confiner les pilotes pour restreindre la complexité et le potentiel d’une discipline qui fait lentement ses marques loin du chemin qu’elle a tracé ?

Des compétitions comme l’Acro GAME ou le Sonchaux Acro Show ont choisi d’adopter un format de “duels/battles”. Chaque manche voit s’affronter deux pilotes l’un contre l’autre.

3- Le posé 3-6, un paradoxe épineux ?

3.1) La clé du spectacle

Aujourd’hui, on peut considérer que le posé 3-6 sur radeau permet au public profane de se divertir. C’est probablement la seule manoeuvre, du show que constitue un run, que le public comprend totalement. Une spirale proche du sol puis un touché de stab sur la surface pour finir enfin au sec sur le radeau. Enfin ça c’est lorsque tout se déroule bien puisque, même à très haut niveau, nombreux sont les posés 3-6 qui finissent à l’eau pour le plus grand plaisir du public. On a même demandé à certain pilotes, lors de “shows amicaux”, de finir volontairement à l’eau. Qu’on se le cache, la foule aime l’odeur et la vue du sang…

3.2) L’envers du décor

20%, c’est le pourcentage de points que représente le posé 3-6 dans la note finale. Le maximum de point allant à un posé durant lequel le stab, la main et le pied du pilote effleurent l’eau pour finir par un “posé-vrille” au-dessus du radeau ; au sec. Seulement voilà, on a ici deux figures qui représentent à elle seules la majorité des accidents graves chez les pilotes. Demandez à Jérémy Bailly, Théo De Blic, Tim Alongi et ceux dans l’ombre qui ont frôlé la mort (promesse que je n’exagère pas), ou bien fini en fauteuil roulant en s’entraînant sur leurs spots à la maison. Ne croyez pas qu’il n’y a que les débutants acrobates qui se blessent sur ce type de manoeuvre. Car pour un pilote d’élite, à 20% de la note finale, mieux vaut en avoir fait des centaines pour être sûr de ne pas y perdre des points en compétition. N’est-ce pas là un paradoxe pour une organisation qui base toutes ses règles et bride les pilotes sous couvert d’assurer la sécurité ? On peut imaginer assez facilement que ce qui importe finalement, c’est qu’au sein même de la compétition, un accident pourrait faire “mauvaise presse” à la FAI et pas vraiment la sécurité des pilotes et qu’il faut donc s’en protéger, alors qu’un pilote qui se tue ou se blesse chez lui en s’entrainant au posé 3-6, c’est juste un pilote qui “prend des risques stupides”.

Conclusion

Alors qu’il peine de plus en plus à rendre compte du niveau actuel des pilotes qui est croyez-le, bien différent de l’idée que l’on s’en fait lorsque l’on regarde un infinity tumbling en vidéo en se disant que c’est “extrême”, le format FAI semble toujours statique et bien décidé à conserver ses vieilles habitudes. Si l’on considère, comme j’aime le faire, la voltige comme un art sportif (au même titre que la danse hip-hop) on ne peut qu’espérer des organismes comme la FAI qu’ils s’adaptent et qui suivent le mouvement initié par les pilotes car, ici comme ailleurs, ce ne sont pas les institutions qui poussent au changement, mais bien les acteurs qui portent avec eux la discipline et qui l’emmèneront, coûte que coûte où il leur plaira.

La FAI aura sans doute plus à perdre que les pilotes, si les rênes de la discipline lui échappent (car c’est irrémédiablement ce qui va se produire si elle maintient le statu quo) puisque, on l’a bien vu, les compétitions “nouveau format” sont plus à même de répondre aux “besoins de spectacle” du public, aux besoins créatifs des pilotes et à l’intérêt médiatique qu’elles représentent pour les sponsors. Autant dire que rien n’est gagné…

ROCK THE OUTDOOR, la culture parapente

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