Comment gérer l’engagement en parapente (cross, marche et vol et voyages)
Philippe Collet
A l’image de nombreuses disciplines, il existe dans le vol libre deux notions dont chaque pilote est – ou devrait être – conscient dès lors qu’il envisage son vol : l’engagement et l’exposition. Ces aspects sont fondamentaux dans notre sport car ils sont étroitement liés à la capacité d’investissement psychique, physique et émotionnel que chacun voudra bien donner à sa pratique.
Définitions
Tout d’abord, essayons de définir le périmètre de ces deux termes.
Deux exemples caricaturaux
> Un aventurier tel Mike Horn qui fait le tour du Pôle Sud aura préparé son expédition dans le détail. Il va donc accepter de « s’engager », consciemment, tout au long de son parcours (et peut-être choisira-t-il parfois de s’exposer).
> Un débutant qui vole dans un puissant thermique aux heures chaudes de juin « s’expose » inconsciemment aux fermetures et à leurs conséquences.
Ce qui différencie donc ces deux notions (engagement, exposition) relève :
– de la préparation globale,
– de compétences techniques, physiques et mentales,
– de l’anticipation ainsi que de la reconnaissance,
– l’acceptation d’un risque identifié.
Savoir distinguer les aspects “engagement” et “exposition”
Au cours d’une aventure – ou d’un vol -, ces deux aspects peuvent s’entremêler ; il est donc important de savoir les distinguer. Par essence, engagement et exposition seront différents selon la typologie d’activité (acro, cross..), que l’on vole seul ou à plusieurs, dans un site ou un cadre connu ou non (vol en bocal, vol au-dessus de l’eau pour les acrobates, etc…) ainsi que selon les pays et l’éloignement (France, Suisse, Pakistan, Namibie… ).
Dans ce propos, je m’attache plus particulièrement aux facteurs inhérents au vol à plusieurs, dans des thèmes de durée, distance et altitude. Mais il est évident que ces mêmes éléments sont à considérer aussi lorsque l’on vole seul.
Le “milieu”
Voler en parapente signifie, de fait, pénétrer dans un milieu dont la nature est spécifique. Aussi, faut-il noter que, dès que nous quittons le sol, nous acceptons une forme d’engagement. Ici l’évaluation des conditions reste une supposition basée sur le croisement d’expériences (personnelles, collectives) et/ou de données limitées en qualité et en durée (bulletin météo, radar, balises…). Ainsi chaque évaluation reste et demeure approximative dans le temps et l’espace tout en étant soumise à des aléas pouvant la modifier notablement. C’est une des raisons pour lesquelles le seul geste technique n’est pas suffisant à assurer nos déplacements.
En conséquence, dès lors que l’on ajoute une (ou plusieurs) dimension supplémentaire (distance, altitude, éloignement,humain…), le potentiel de risque augmente. Il devient alors évident que dans la gestion de ce dernier, la part d’incertitude va croître. Pour gagner en efficacité, il faudra être méticuleux et rigoureux afin de cerner au plus près ces exigences. En conséquence, on peut affirmer que le corollaire de l’engagement est la précision. Ce qui est fort bien résumé par la maxime « aucun vol n’est anodin ». 😉
Les erreurs
On voit régulièrement des pilotes se lancer sous leur parapente sur des projets pour lesquels ils ont – au mieux – validé un niveau technique. Mais, en réalité, ils sont en défaut des compétences supplémentaires nécessaires à en assumer une gestion sereine. Ainsi, ils ne peuvent obtenir un risque résiduel* minimum. En conséquence, le potentiel d’occurence d’un accident augmente.
*Risque résiduel : portion du risque demeurant une fois que l’on a mis en place toutes les mesures nécessaires à sa réduction.
En clair, ils commettent, plus ou moins consciemment, des erreurs souvent grossières, on peut citer :
– Espérer que « ça va bien se passer » > n’est pas un choix tactique.
– Foncer sans réfléchir > n’est pas une stratégie.
– Une voile EN A, ça ne ferme pas > est une illusion de contrôle.
– Ne pas vouloir affronter les questions qui dérangent l’égo, le porte-monnaie ou notre petit confort > c’est être dans le déni et la fuite.
– Ne pas anticiper les conséquences potentielles d’un « couac » dans le projet prévu > c’est s’exposer à l’avorter.
– Refuser d’exprimer ce que l’on pense par timidité, flemme, stress > génère de la frustration, de la colère, de la rancœur et peut être accidentogène.
– Ne pas se poser clairement la question : “à quel point est-ce que je veux m’engager, suis-je au clair vis-à-vis de moi-même et des autres en termes de conséquences potentielles ?” > c’est être dans le déni et risquer de les subir de plein fouet.
L’ensemble des points mentionnés sont tous important puisque :
– Voler longtemps signifie s’exposer durablement à différents aléas.
– Voler loin signifie se projeter dans une succession géographique et aérologique plus incertaine. On maîtrisera peut-être moins les tenants et aboutissants, cela sera peut-être plus contraignant en termes d’engagement (isolement, vallée ouverte/vallée fermée, urbanisation…).
– Voler à l’étranger veut dire que ce que l’on « connait » risque d’être fondamentalement différent à l’endroit où on se rend (ex : météo, délai intervention secours, soins hospitaliers…).
Si l’on ajoute à ces points les interférences issues des relations interpersonnelles, on constate que l’on peut rapidement arriver à une distorsion entre le projet d’origine « On va aller crosser ensemble, on essaie de faire 100 bornes » et le résultat obtenu « Purée ! j’ai vaché après 30 kilomètres et l’autre cochon y m’a pas calculé, y’a fallu que je me démerde tout seul ! ».
Alors, que faire ?
Commencez par travailler sous forme de paliers.
Outre le plaisir, un vol de distance génère de l’anxiété, du stress parfois de la peur. Ces différents états épuisent l’organisme et altèrent la qualité de notre état de vigilance. Bien entendu si l’on multiplie les journées de vol et que l’on ajoute de la marche, cette fatigue s’accroît exponentiellement. Il est donc primordial de commencer en douceur, d’apprendre à s’écouter, à anticiper la survenue de l’épuisement (qu’il soit physique ou psychologique). Variez les plaisirs : une petite marche + un gros vol dans une région que l’on connait bien ou une grosse marche et un petit vol dans un coin peu connu …
Parallèlement au travail de pilotage il existe quelques pistes relevant principalement du bon sens, de l’honnêteté intellectuelle et d’un brin d’humilité.
– Cerner et exprimer le cadre du projet : on part ensemble pour un cross, on vole ensemble, on pose ensemble avec celui qui posera le premier.
– Définir et se tenir aux règles du jeu : si le vent est supérieur à 20 km/h, on ne décolle pas.
– Libérer la parole : inviter le moins compétent ou le plus timoré à s’exprimer en premier.
– Ne pas juger : une fois la décision prise, on l’accepte sans revenir dessus.
– Evaluer objectivement ses savoir-faire autres que ceux de pilotage : je suis au Pakistan, s’il y a un blessé (moi ?), quelles sont mes compétences en secourisme ?
– Etre franc avec sa propre capacité d’engagement : je veux bien me bagarrer mais pas au point de risquer de mourir.
– Maîtriser les « au cas-où » : si je me casse la jambe aux Canaries, suis-je au clair avec l’organisation des secours, des soins, du rapâtriement…
S’armer de compétences sur les facteurs humains pour réduire le risque d’accident
Au plus, on aura des projets ambitieux en termes de vol, au plus il faudra s’ouvrir à soi-même, à sa relation à l’autre, se pencher sur des aspects organisationnels et psycho-affectifs. Il apparaît donc comme évident que, pour diminuer efficacement le risque d’accident, il faudra que le pilote cesse de s’attacher uniquement à la dimension technique et s’appuie à gagner des compétences sur les facteurs humains (heuristique)
Avoir le courage de faire face à ces différents points signifie, pour l’individu comme le groupe, de construire sa capacité à oser, à être déterminé, à communiquer et à améliorer sa capacité d’adaptation. C’est une démarche incontournable pour se libérer de parasitages mentaux inappropriés et inopportuns. C’est gagner ainsi en performance vers l’objectif que l’on s’est fixé. C’est s’assurer du soutien de l’autre lorsque l’on est en position de faiblesse. Notre capacité collective d’engagement, et donc de performance, répond – entre autres – de la qualité des attitudes que nous aurons sur ces différents thèmes.
Philippe Collet
Quels sont les pistes que tu peux donner aux pilotes qui souhaitent améliorer leurs compétences dans ce domaine ?
Une bonne facon de se préparer, c’est bien sûr de la lecture, comme celle du livre “Gérer les risques en Parapente” de Jean Marc Galan présenté sur ton site*. C’est un bon début. Il y a également des ouvrages comme celui de Ian Mac Cammon (en anglais) sur les pièges heuristiques.
Proposes-tu des stages de préparation mentale comme par exemple ceux d’Esprit Parapente ?
Pour ma part, au sein de l’école que nous avons créé avec Martin Beaujouan (AlpWind.fr), je mets en place ce que j’ai appelé la “Pilot Safety Attitude”. A savoir, une démarche qui commence dès nos stages d’initiation et qui évolue jusqu’au pilote de cross ou d’acro.
D’autre part, nous proposons des week-end de travail sur la confiance en soi et la reconnaissance de situation, ou comment être capable d’avoir pleinement conscience de notre capacité à gérer les moments « tendus » et surtout comment éviter de s’y trouver confronté par inadvertance.
Malheureusement, ces stages sont assez peu connus et/ou diffusés/acceptés par le grand public car le premier point est de se regarder tel que l’on est et non tel que l’on s’imagine être. Du coup, c’est parfois moins glamour…
* il existe 2 autres livres qui abordent aussi ces aspects : Parapente Vol de distance et Parapente Performance
Découvrez sur le site internet Alpwind.fr toutes les prestations de l’école de parapente et hike and fly sur Annecy et Chamonix (stages monosurface avec des voiles AIR DESIGN UFO, thermique ou cross, vol rando ou montagne).
Petit portrait de Philippe Collet
J’ai tournicoté un peu partout autour du monde que ce soit pour des expés, du ski ou autre…
Philippe est Guide de Haute montagne, moniteur de parapente, de canyon, formateur Alpinisme à l’Ecole Nationale de Ski et d’Alpinisme à Chamonix où il vit.
Côté Vol Libre, son activité porte essentiellement sur le speedriding, la voltige et la distance mais en essayant de conjuguer le plus possible avec de la rando ou du voyage : “inutile de parler du vol montagne, c’est forcément un domaine qui me parle droit au cœur…”
Encadrement de stages mono-surface : le déclic
Depuis quelques années, il s’est intéressé aux stages monosurface : “cette dynamique m’a énormément plu, notamment grâce à la complicité qui se liait rapidement avec des stagiaires heureux de découvrir le vol”.
Nouveau projet : création d’une école parapente
Aujourd’hui, il part dans une nouvelle aventure avec Martin Beaujouan avec qui il vient de créer une petite structure AlpWind. Au menu, une philosophie très largement tournée vers le light sous toutes ses formes (montagne, marche, voyage) ainsi que l’accompagnement en thermique et cross. Nous aimerions essayer d’ancrer le plus possible notre école dans un respect de la nature et former des pilotes curieux, efficaces mais conscients de leur démarche. Un beau et vaste programme !.
AlpWind
74400 Chamonix
France
+33 (0)6 70 06 9143
info@alpwind.fr
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