Le premier problème l’hypoxie : on se sent rapidement superman et le niveau de réflexion est au plus bas (un peu comme l’alcool). La prise de décision de façon sensée est très fortement altérée. Résultat : les posés ont été catastrophiques. Je ne parle pas de ceux qui se sont cratérisés dans la neige sur le plat sommital, ou les posés vent de cul ou encore ceux qui ont fait un roulé-boulé dans les zones plates.
Le posé au sommet à tout prix a beaucoup pardonné cette fois-ci, c’est assez rare en montagne. Sous le sommet,… avec quelques centimètres de neige en moins ou de la neige un peu moins consistante, tous seraient morts !
Je parle uniquement de ceux qui se sont vraiment mis en danger, ceux qui ont raté le posé au sommet et qui, au lieu d’aller rechercher le thermique qui monte à 5500m pour essayer de poser à nouveau correctement, ont pris la décision de poser à tout prix ! Du coup, ils se sont écrasés à 10, 30 ou 50 m voire 100 m sous le sommet au milieu des crevasses dans des pentes raides et sans aucun matériel ou expérience alpine ! Ils ne doivent la vie qu’au fait que la neige était particulièrement molle pour les retenir de ne pas glisser. Quelques centimètres de neige en moins ou de la neige un peu moins consistante et tous seraient morts ! La neige était parfaite mais ce n’était pas possible de le savoir avant d’atterrir.
Beaucoup sont restés paralysés une fois posés, impossible de bouger ou de remonter sans risquer de chuter dans cette pente. Heureusement des guides étaient au sommet et ont passé plusieurs heures à faire des secours au risque de leurs vies.
Je ne mets pas en cause ceux qui ont eu la présence d’esprit d’aller poser 50 m plus bas sur l’arrête sud qui était sans risque ce jour. La photo parle d’elle-même…Le posé au sommet à tout prix à beaucoup pardonné cette fois-ci, c’est assez rare en montagne.
Une fois posé, il faut encore être capable de redécoller ! Je ne pense pas que plus de 50% des pilotes avait conscience de la difficulté de décoller à presque 5000m.
Il est difficile de courir à 5000 m et encore plus dans de la neige molle. Pour palier au problème, il faut soit avoir une marge suffisante de technicité en parapente avec du matériel adapté (voile et sellette light qui permet d’être beaucoup plus alerte), soit prévoir le matériel et avoir la compétence pour descendre à pied.
La phase du décollage a été critique pour nombre de pilotes, beaucoup ont eu besoin d’assistance
La phase du décollage a été critique pour nombre de pilotes, beaucoup ont eu besoin d’assistance afin d’arriver à décoller et d’autres s’en sont sortis uniquement par miracle en se jetant dans le trou. Je ne parle pas de ceux qui ont mis 2 ou 3 décos pour décoller en toute sécurité, mais de ceux qui se sont jetés dans le trou sans aucune maîtrise. J’en ai vu plusieurs, la voile complétement de travers, se jeter dans les pentes raides… Encore une fois, ce sont les guides qui ont limité la casse en allant chercher les inconscients ou les volontaires sur le décollage qui ont fait de leur mieux pour aider à décoller.
Ne vous laissez pas tromper par les images, le côté rassurant ! La majorité des pilotes était soit préparé avec du matériel adéquat, soit avait une marge de niveau pour rester en sécurité. Aucun des pilotes que l’on a pu voir en claquette et short au sommet n’a volé avec ce matériel ! Il était dans la sellette dans le but de le sortir au sommet pour faire des photos afin de dénoncer le réchauffement climatique (difficile de mettre dans la sellette en plus le parasol et la serviette !)
Un bon tiers n’avait rien à faire au sommet du Mont Blanc
La majorité des pilotes avait le niveau requis ou le matériel nécessaire mais un bon tiers n’avait rien à faire au sommet du Mont Blanc et, surtout, trop de pilotes n’avaient aucune conscience des vrais risques. Le dénouement est finalement presque heureux en comparaison de ce qu’il pouvait arriver : un seul accident mortel. Mais c’est un accident de trop qui m’attriste profondément. Les conséquences de la journée auraient pu être beaucoup plus lourdes.
Je suis contre tous les interdits et, par conséquent, je ne peux pas soutenir le choix d’interdire le posé au Mont Blanc… Je suis pour la prise de conscience de chacun avec une responsabilité personnelle consciente. Mais, sincèrement, quand je vois la méconnaissance d’autant de pilotes, je prends peur et je comprends cet interdit. C’est triste de s’interdire une si belle chose à cause d’une minorité de pilotes. Peut-être faut-il travailler plus sur la prévention ? Je ne sais pas, mais le posé au sommet à tout prix de trop de pilotes me fait froid dans le dos.
Sur ma dernière expédition, le survol de l’Aconcagua (6962m), je voulais poser au sommet. Je ne l’ai finalement pas fait car j’estimais ma marge de sécurité trop maigre.
Pourtant le sommet est grand, plat et les décollages sont présents de tous les côtés. En comparaison au posé de nombreux pilotes sur le Mont Blanc, j’avais une marge plus que confortable ! Mais doit-on risquer notre vie pour son propre égo ? C’est être vraiment égoïste ! Que penser des secouristes qui la risquent aussi, de la famille qui auront des plaies irréparables ?
Cette journée qui aurait dû être du pur plaisir ainsi qu’une fête du parapente s’est trouvée entâchée par le comportement de trop de pilotes. Je suis désolé mais je me sens obligé de pousser mon coup de gueule.
Je vais essayer d’oublier tout ça et de continuer à diffuser des belles images de cette journée car ce fut tout de même une journée magique pour les yeux.
Beaucoup de copains et de pilotes, qui me sont inconnus, ont renoncé à poser et ont su s’écouter; ce sont eux qui avaient raison, ce sont eux qui feront de vieux pilotes un jour. D’autres étaient stressés au sommet uniquement par conscience du risque, cette conscience qui permet souvent de rester en vie. Ce sont ces rares comportements qui m’ont légèrement rassuré sur le fait que tous les hommes ne sont pas dirigés uniquement par l’égo. Du moins, pas tous !
Bon vols à tous – Antoine Girard