• Home
  • /CONSEILS
  • /Atterrissage au sommet dans les rouleaux, sa voile se ferme
Atterrissage au sommet dans les rouleaux, sa voile se ferme

Atterrissage au sommet dans les rouleaux, sa voile se ferme

Cumul de facteurs amenant à l'accident

Stéphane est un pilote savoyard qui vit en Normandie depuis 2 ans. Il  nous a proposé la vidéo de son incident de vol sur le site parapente de Carolles (Manche – Normandie) en Niviuk Roller 18. Il a déjà eu une analyse en 2016 d’un incident sur le site de Saint Pabu (Côtes d’Armor – Bretagne) dans un contexte similaire avec une volution de l’aérologie avec un vent forcissant.

Après 2 premières tentatives pour atterrir au sommet après avoir détrimé à 75% (aile piqueuse), il tente un troisième passage alors qu’il avait pourtant dans l’idée d’atterrir sur la plage ! Léger vent de travers, trop bas et trop loin derrière, mini-voile détrimée (avec suspentage plus court qu’un parapente classique, il se trouve dans une zone de cisaillement à quelques mètres du sol…

Découvrez, après la vidéo, l’analyse et les conseils de Jérôme Canaud à propos de cet accident de Stéphane.

Le témoignage de Stéphane

« Je vole environ 80 heures par an avec une ADVANCE Epsilon 7, une ADVANCE Iota et une NIVIUK Roller 18 m². J’ai 15 heures de vol avec la Roller principalement sur le site de Granville (Manche). Mon PTV est de 85 kg avec gilet de lest 4 kilos et sellette ADVANCE Success 4.

Après deux heures de vols sur le site de Carolles, les conditions sont devenues plus soutenues. J’ai fait deux approches au déco pour atterissage avec modification des trims sans pouvoir perdre sur les derniers mètres. J’ai fait  un troisième passage malheureusement  « fatal », alors que j’avais pourtant dans l’idée d’atterrir sur la plage. Je me suis trop obstiné.

C’est la première fois que j’avais du mal à dégrader les derniers mètres. J’étais trop à l’aise avec la Roller que trop d’assurance fait abdiquer et de faire plage. Je ne lache pas le morceau comme ça et voilà. Je sentais bien pourtant à la commande que ce n’était pas terrible lors de mes deux précédentes approches. J’étais détrimé à 75% à l’avant dernier cran, donc profil piqueur et plus fragile. Lorsque je me suis représenté la troisième fois, j’étais trop bas. Avec un cône de suspentage plus petit (qu’une voile normale), ça ne m’a pas aidé sous ce rouleau avec du travers droit donc pas assez décalé vers la gauche.

Je me suis trop obstiné avec une grosse conséquence corporelle (3 mois d’arrêt avec fracture de la L1 arthrodese), malgrè le peu de hauteur de décrochage suite frontale peut-être liée au rouleau occasionné par les buissons. »

Le décollage de Carolles se situe sur une falaise presque verticale bordée de part et d’autre de petits buissons. Ce site est réputé pour ses rouleaux bien présents sur le plateau juste derrière le décollage et sur une grande distance.

Le danger des décos falaise

Comme de nombreux sites de bord de mer, le site de Carolles est un déco falaise plutôt vertical avec un déco « plateau » (sans pente inclinée vers le vent). Sur ce genre de site, gonflage, décollage et atterrissage doivent se faire le plus près possible de la cassure. Sur ces sites à pente très verticale, la présence du vent à proximité du sol n’existe plus quelques mètres après la cassure du relief.

Si vous tentez un gonflage en vous éloignant de la cassure, vous constaterez rapidement la présence de rouleaux en voyant votre aile gesticuler sur les côtés ou par l’arrière et avec beaucoup de difficultés pour la contrôler. Plus le vent sera fort, plus ce scénario sera accentué.

Légende :
jaune/orange/vert : ascendance plus ou moins porteuse
rouge : zone dangereuse avec rouleaux
* Les bulles sont plus ou moins étirées en fonction de la verticalité de la pente

horizontal break

Analyse et conseils de Jérôme Canaud

Avant propos

En regardant la vidéo plusieurs fois et me souvenant de son événement précédent sur le site de soaring de Saint Pabu, voici ce que je peux dire.

Le pilote a rencontré une zone de cisaillement due aux turbulences sous le vent du déco qui a provoqué une fermeture frontale et un enfoncement normal. La faible hauteur du cône (mini voile) accentue le risque que la voile soit dans le cisaillement. Après la fermeture, il percute le sol brutalement car il n’a pas assez de hauteur. Avec plus de hauteur, la voile se serait réouverte seule (si le pilote laisse faire). La voile aurait réouvert peut être avant de toucher si le pilote avait gardé les trims tirés.

Merci à ce pilote de publier cette vidéo pour comprendre ce qui s’est passé et pouvoir dans les mêmes conditions ne pas se retrouver dans la même situation. Il est toujours difficile pour un pilote de montrer aux autres un incident, un accident, dû à une erreur de pilotage ou placement… C’est pourtant une manière efficace de progresser en sécurité en partageant ses expériences entre pilotes.
En revenant sur l’analyse de cet accident, on retrouve un cumul de facteurs. C’est bien le cumul qui amène à l’accident et non un seul facteur.

1- Adaptation à l’évolution de l’aérologie

Comme pour l’événement précédent, le vent forcit, le pilote s’en aperçoit mais ne s’adapte pas ! Il avait prévu de poser en bas et ne le concrétise pas. C’est dommage, cette première décision était la bonne. Comme l’événement précédent, le vent forcit mais le fait de s’en rendre compte ne l’oriente pas vers un vol différent (choix de poser en bas ou en haut en analysant les différents terrains possibles et les mieux adaptés).
Quels sont les facteurs PERSONNELS qui font que le pilote ne reste pas sur cette première décision ? Manque de connaissances de l’aérologie et des pièges aérologiques avec le vent qui forcit et les nouveaux pièges qui apparaissent ? Caresser son égo en voulant absolument poser au sommet avec les autres ? Méconnaissances du comportement de sa voile dans un endroit potentiellement turbulent ? Méconnaissance d’un placement meilleur pour poser au déco quand le vent forcit ? La flemme de remonter à pied si le posé a lieu en bas ?
Le pilote doit se poser ces questions pour faire évoluer sa pratique vers une pratique plus safe…

2- Placement

Le vent est plus fort et le pilote est juste derrière la cassure du déco dans la zone potentiellement la plus turbulente.

  • Soit il faut être plus près du bord : meilleur au niveau aérologie mais plus technique à poser car on est dans l’ascendance dynamique de la pente. On peut tenter plusieurs passages pour poser au bon moment, sinon on laisse tomber. Dans tous les cas, le fait de se laisser plusieurs tentatives n’est pas dangereux.
  • Soit aller beaucoup plus loin derrière pour sortir des rouleaux du déco. Cela se décide tôt, c’est-à-dire quand on est au max du gain de hauteur au vent du déco, ce qui permet aussi de choisir le meilleur endroit au niveau topographique et au niveau aérologique. En allant loin, on sera toujours dans du vent fort, mais éloigné de la zone turbulente créée par la cassure du décollage (+ arbustes). Si la hauteur n’est pas suffisante pour atteindre ce terrain et se remettre face au vent, on laisse tomber (le fait d’y aller vent arrière est un non retour donc bien analyser avant), on va poser en bas.
  • Peut être que le pîlote souhaite poser au même endroit et faire la même approche que le parapente juste avant lui. Attention, le comportement d’une mini-voile n’est pas le même qu’un parapente (cône plus court).

3- Pilotage non adapté

Pourquoi détrimer alors que la position trimée suffit largement mais il faut juste être un peu plus patient. Méconnaissances du comportement de sa voile avec les trims lachés dans une aérologie potentiellement turbulente : plus on accélére (on relache les trims), plus on se rapproche du risque de fermeture. Les trims ne se remettent pas à leur position d’origine sans action du pilote comparé à un accélérateur à pieds qui, quand on le relâche, on se retrouve un comportement standard. Y a-t-il des méconnaissances sur le comportement de la mini-voile, notamment détrimée en aérologie turbulente près du sol ?

4- Choix du matériel

Ce qui me surprend, c’est que le pilote a déjà un PTV de 85 kg (ici sous une 18m²) et qu’il rajoute 4 kg de balast. Pourquoi un PTV aussi important sous cette voile, alors que sans ballast, la voile a déjà un excellent potentiel de vitesse pour voler dans des vents soutenus en bord de mer. Là aussi, le pilote ne souhaite-t’il pas se rassurer et éviter sa mauvaise expérience précédente ? La sécurité viendra plus de la manière de voler, dans le choix des conditions et l’adaptation à l’évolution. Je suis aussi surpris que le pilote vole aussi avec une 26 m² pour un poids de 69 kg, cette voile n’est-elle pas trop grande ?
Le fait de changer souvent de voile (parapente, mini voile) entraîne une adaptation permanente qui n’est pas évidente.

5- Protection

Vu que le pilote est debout avant de toucher, sa protection dorsale ne lui a servi à rien car l’impact a  eu lieu sur les jambes.

6- Une voile suspentée plus court avec un pilotage différent

Ici, on est plus à même de se retrouver dans les turbulences qu’une voile standard placée 8 mètres au dessus du pilote. Donc, en petite surface (mini-voile, petit parapente, voile de speed flying), il faut adapter son pilotage et son placement en fonction du site, de l’aérologie. C’est différent du comportement d’un parapente.

On ne pilote pas une mini-voile comme un parapente classique

Sur un mini-parapente et une mini-voile, tout est plus rapide et vif, notamment à cause de leur cône de suspentage plus petit. C’est pourquoi il est important de s’habituer progressivement au matériel. Même si elles sont plus faciles à aborder (pas d’inertie, pilotage plutôt instinctif), les mouvements en roulis et tangage sont moins amples mais plus rapides. Les débattements aux commandes sont plus faibles mais, en même temps, on a besoin de peu de commandes pour piloter.
Il faut être vigilant sur les vols aux basses vitesses. Les parapentes classiques acceptent mieux le vol lent, il peut y avoir une phase parachutale alors que, sur une mini voile, cette phase peut être inexistante et on peut basculer sur le décrochage brutalement.
Suite à une fermeture frontale en vol accéléré avec un parapente de loisir, le pilote en relâchant l’accélérateur permettra à la voile de rouvrir et de revenir seule au vol standard, avec une perte de hauteur nécessaire. Alors que, suite à une fermeture frontale avec une mini voile en position trims relachés, la voile peut ne pas se rouvrir sans une action du pilote (freinage symétrique + retrimer la voile) , donc avec une perte de hauteur plus importante.
Dans du vent fort, près du sol, en aérologie turbulente, ces voiles sont réservées aux parapentistes habiles bien dégourdis en pilotage qui sauront aussi utiliser les trims à bon escient.

A découvrir

horizontal break

Conclusion

Je vois, de l’extérieur, que ce pilote s’était déjà mis en danger une première fois, puis cette fois, il se fait mal en étant confronté au même facteur (évolution de l’aérologie) sans aucune adaptation.
La prochaine fois sera peut être plus grave. Une remise en question (faire le point) de sa manière d’aborder le vol me semble nécessaire ici dans du vent soutenu : connaître ses réelles capacités techniques et théoriques du moment. Et sont-elles compatibles avec ce que l’on souhaite faire ?
Continuer à se former n’est pas que pour les pilotes débutants… Il est possible de voler dans du vent fort en bord de mer en ayant une pratique safe.
Jérôme Canaud
Ecole de parapente COURANTS D’R – Page Facebook – site formation Master Class 

ROCK THE OUTDOOR, la culture parapente

Laisser un commentaire