Atterrissage au sommet dans les rouleaux, sa voile se ferme
Le témoignage de Stéphane
« Je vole environ 80 heures par an avec une ADVANCE Epsilon 7, une ADVANCE Iota et une NIVIUK Roller 18 m². J’ai 15 heures de vol avec la Roller principalement sur le site de Granville (Manche). Mon PTV est de 85 kg avec gilet de lest 4 kilos et sellette ADVANCE Success 4.
Après deux heures de vols sur le site de Carolles, les conditions sont devenues plus soutenues. J’ai fait deux approches au déco pour atterissage avec modification des trims sans pouvoir perdre sur les derniers mètres. J’ai fait un troisième passage malheureusement « fatal », alors que j’avais pourtant dans l’idée d’atterrir sur la plage. Je me suis trop obstiné.
C’est la première fois que j’avais du mal à dégrader les derniers mètres. J’étais trop à l’aise avec la Roller que trop d’assurance fait abdiquer et de faire plage. Je ne lache pas le morceau comme ça et voilà. Je sentais bien pourtant à la commande que ce n’était pas terrible lors de mes deux précédentes approches. J’étais détrimé à 75% à l’avant dernier cran, donc profil piqueur et plus fragile. Lorsque je me suis représenté la troisième fois, j’étais trop bas. Avec un cône de suspentage plus petit (qu’une voile normale), ça ne m’a pas aidé sous ce rouleau avec du travers droit donc pas assez décalé vers la gauche.
Je me suis trop obstiné avec une grosse conséquence corporelle (3 mois d’arrêt avec fracture de la L1 arthrodese), malgrè le peu de hauteur de décrochage suite frontale peut-être liée au rouleau occasionné par les buissons. »
Le danger des décos falaise
Comme de nombreux sites de bord de mer, le site de Carolles est un déco falaise plutôt vertical avec un déco « plateau » (sans pente inclinée vers le vent). Sur ce genre de site, gonflage, décollage et atterrissage doivent se faire le plus près possible de la cassure. Sur ces sites à pente très verticale, la présence du vent à proximité du sol n’existe plus quelques mètres après la cassure du relief.
Si vous tentez un gonflage en vous éloignant de la cassure, vous constaterez rapidement la présence de rouleaux en voyant votre aile gesticuler sur les côtés ou par l’arrière et avec beaucoup de difficultés pour la contrôler. Plus le vent sera fort, plus ce scénario sera accentué.
Légende :
jaune/orange/vert : ascendance plus ou moins porteuse
rouge : zone dangereuse avec rouleaux
* Les bulles sont plus ou moins étirées en fonction de la verticalité de la pente

Analyse et conseils de Jérôme Canaud
Avant propos
En regardant la vidéo plusieurs fois et me souvenant de son événement précédent sur le site de soaring de Saint Pabu, voici ce que je peux dire.
Le pilote a rencontré une zone de cisaillement due aux turbulences sous le vent du déco qui a provoqué une fermeture frontale et un enfoncement normal. La faible hauteur du cône (mini voile) accentue le risque que la voile soit dans le cisaillement. Après la fermeture, il percute le sol brutalement car il n’a pas assez de hauteur. Avec plus de hauteur, la voile se serait réouverte seule (si le pilote laisse faire). La voile aurait réouvert peut être avant de toucher si le pilote avait gardé les trims tirés.
Merci à ce pilote de publier cette vidéo pour comprendre ce qui s’est passé et pouvoir dans les mêmes conditions ne pas se retrouver dans la même situation. Il est toujours difficile pour un pilote de montrer aux autres un incident, un accident, dû à une erreur de pilotage ou placement… C’est pourtant une manière efficace de progresser en sécurité en partageant ses expériences entre pilotes.
En revenant sur l’analyse de cet accident, on retrouve un cumul de facteurs. C’est bien le cumul qui amène à l’accident et non un seul facteur.
1- Adaptation à l’évolution de l’aérologie
Comme pour l’événement précédent, le vent forcit, le pilote s’en aperçoit mais ne s’adapte pas ! Il avait prévu de poser en bas et ne le concrétise pas. C’est dommage, cette première décision était la bonne. Comme l’événement précédent, le vent forcit mais le fait de s’en rendre compte ne l’oriente pas vers un vol différent (choix de poser en bas ou en haut en analysant les différents terrains possibles et les mieux adaptés).
Quels sont les facteurs PERSONNELS qui font que le pilote ne reste pas sur cette première décision ? Manque de connaissances de l’aérologie et des pièges aérologiques avec le vent qui forcit et les nouveaux pièges qui apparaissent ? Caresser son égo en voulant absolument poser au sommet avec les autres ? Méconnaissances du comportement de sa voile dans un endroit potentiellement turbulent ? Méconnaissance d’un placement meilleur pour poser au déco quand le vent forcit ? La flemme de remonter à pied si le posé a lieu en bas ?
Le pilote doit se poser ces questions pour faire évoluer sa pratique vers une pratique plus safe…
2- Placement
Le vent est plus fort et le pilote est juste derrière la cassure du déco dans la zone potentiellement la plus turbulente.
- Soit il faut être plus près du bord : meilleur au niveau aérologie mais plus technique à poser car on est dans l’ascendance dynamique de la pente. On peut tenter plusieurs passages pour poser au bon moment, sinon on laisse tomber. Dans tous les cas, le fait de se laisser plusieurs tentatives n’est pas dangereux.
- Soit aller beaucoup plus loin derrière pour sortir des rouleaux du déco. Cela se décide tôt, c’est-à-dire quand on est au max du gain de hauteur au vent du déco, ce qui permet aussi de choisir le meilleur endroit au niveau topographique et au niveau aérologique. En allant loin, on sera toujours dans du vent fort, mais éloigné de la zone turbulente créée par la cassure du décollage (+ arbustes). Si la hauteur n’est pas suffisante pour atteindre ce terrain et se remettre face au vent, on laisse tomber (le fait d’y aller vent arrière est un non retour donc bien analyser avant), on va poser en bas.
- Peut être que le pîlote souhaite poser au même endroit et faire la même approche que le parapente juste avant lui. Attention, le comportement d’une mini-voile n’est pas le même qu’un parapente (cône plus court).
3- Pilotage non adapté
Pourquoi détrimer alors que la position trimée suffit largement mais il faut juste être un peu plus patient. Méconnaissances du comportement de sa voile avec les trims lachés dans une aérologie potentiellement turbulente : plus on accélére (on relache les trims), plus on se rapproche du risque de fermeture. Les trims ne se remettent pas à leur position d’origine sans action du pilote comparé à un accélérateur à pieds qui, quand on le relâche, on se retrouve un comportement standard. Y a-t-il des méconnaissances sur le comportement de la mini-voile, notamment détrimée en aérologie turbulente près du sol ?
4- Choix du matériel
Ce qui me surprend, c’est que le pilote a déjà un PTV de 85 kg (ici sous une 18m²) et qu’il rajoute 4 kg de balast. Pourquoi un PTV aussi important sous cette voile, alors que sans ballast, la voile a déjà un excellent potentiel de vitesse pour voler dans des vents soutenus en bord de mer. Là aussi, le pilote ne souhaite-t’il pas se rassurer et éviter sa mauvaise expérience précédente ? La sécurité viendra plus de la manière de voler, dans le choix des conditions et l’adaptation à l’évolution. Je suis aussi surpris que le pilote vole aussi avec une 26 m² pour un poids de 69 kg, cette voile n’est-elle pas trop grande ?
Le fait de changer souvent de voile (parapente, mini voile) entraîne une adaptation permanente qui n’est pas évidente.
5- Protection
Vu que le pilote est debout avant de toucher, sa protection dorsale ne lui a servi à rien car l’impact a eu lieu sur les jambes.
6- Une voile suspentée plus court avec un pilotage différent
Ici, on est plus à même de se retrouver dans les turbulences qu’une voile standard placée 8 mètres au dessus du pilote. Donc, en petite surface (mini-voile, petit parapente, voile de speed flying), il faut adapter son pilotage et son placement en fonction du site, de l’aérologie. C’est différent du comportement d’un parapente.
A découvrir

Conclusion
Je vois, de l’extérieur, que ce pilote s’était déjà mis en danger une première fois, puis cette fois, il se fait mal en étant confronté au même facteur (évolution de l’aérologie) sans aucune adaptation.
La prochaine fois sera peut être plus grave. Une remise en question (faire le point) de sa manière d’aborder le vol me semble nécessaire ici dans du vent soutenu : connaître ses réelles capacités techniques et théoriques du moment. Et sont-elles compatibles avec ce que l’on souhaite faire ?
Continuer à se former n’est pas que pour les pilotes débutants… Il est possible de voler dans du vent fort en bord de mer en ayant une pratique safe.
Jérôme Canaud
Ecole de parapente COURANTS D’R – Page Facebook – site formation Master Class