Focaliser sur un incident annexe peut altérer bonnes décisions et pilotage
La cause évoquée par Paul : « C’est la clé à gauche qui a été la raison principale«
A Cagnourine, les conditions aérologiques au décollage peuvent être fortes, même à 16h. Il est possible de partir sur d’autres sites mais on est habitué à cette brise de vallée qui alimente le décollage.
La vitesse de l’aile est parfois limite pour décoller et il faut sortir le barreau mais, là, les conditions n’étaient pas aussi fortes. C’est la clé à gauche qui a été la raison principale et responsable de ce déplacement de l’aile en crabe et en reculant.
Je me suis fait surprendre parce que c’est une première pour moi de m’être fait avoir, d’où l’importance de bien vérifier son cône de suspentage avant de se donner le top départ, surtout quand les conditions de décollage sont limites, limites… Une fois avancé, tout va bien mais la pente du relief accélère la brise de vallée au contact du sol et il faut un parfait profil pour avancer droit, parfois avec l’accélo pour s’en dégager mais, mais avec une clef, c’est la sanction qui aurait pu se terminer sur une ligne électrique à +/-70m derrière mon posé.
Paul

Le récit de Paul à chaud
Une clef et ça peut être un vrai bordel…
Je vous raconte : c’est le 17 juillet 2015 à Cagnourine (Tende – Alpes Maritimes)
Après une journée de travail qui a débuté par un réveil à 5h15 et qui s’est terminée à 13h30, je récupère dare-dare mon 4×4 et je glisse sur Tende avec la ferme intention de décoller en vol du soir. Il est à peu près 16h00 quand j’arrive au déco de Cagnourine. Henri est là ; nous allons pouvoir partager le ciel « Tendasque ». Je me prépare et décolle le premier. L’aérologie est tonique mais je ne me fais pas arracher comme ça le fait généralement. Il est vrai que plus ça va et plus je maîtrise cette aile (Golden 4) au décollage mais, ce coup-là, avec la force de la brise, je suis étonné de ce qui m’arrive.
Henri me dit « elle est belle » et, sans inquiétud,e j’essaie d’avancer…. Oh que c’est dur pour avancer ! Pendant que je lutte pour avancer en mettant le max de poids à la ventrale, je me sens déporté en crabe par la gauche. Punaise… mince !!! Je me penche bien en avant pour mettre un max de poids à l’aile (le poids, c’est le moteur de l’aile) et je me fais soulever tout en reculant. Mince de mince de chez mince …, elle est si costaud que cela cette brise ??? Je sors l’accélo et j’enfonce le barreau mais je n’avance toujours pas bien au contraire, j’ai l’impression que, quand j’accélère, l’aile à un taux de chute plus prononcé mais j’insiste tout de même car là, je recule grave….
Lire la suite du récit de Paul
Chose qui m’interroge et m’inquiète sans pour autant perdre le nord, je reste calme, serein pour garder mes capacités d’analyse et ne pas faire n’importe quoi (idée de limiter la casse). Je lève les yeux vers mon aile et que vois-je ? Une sacrée clef en bout d’aile gauche, pas si grosse que cela mais elle me fout le bordel en empêchant l’aile d’avancer.
Ayant vu qu’avec mes capacités de pilote et ne trouvant aucun moyen pour avancer, je me dis qu’il ne me reste plus qu’à gérer cet état de fait ainsi que l’aile pour trouver un point de « chute » sans trop de dégâts car la clé ne saute pas malgré mes actions au frein. Je recule, je recule … je recule … tout en pilotant mon aile (elle tend à virer à gauche) en mettant à droite du poids à la sellette et du frein pour contrer afin de rester près de la pente et attendre l’aubaine d’une planche parmi les sapins, pins et aux arbres qui font le décor du lieu que je survole bien malgré moi ce coup-ci.
Je vois une belle planche qui est dans ma trajectoire, j’essaye de me rapprocher d’elle pour poser mais je ne fais que la survoler en reculant. Je regarde à droite, à gauche pour repérer un grand espace type planche herbeuse. Il y en a mais elles ne sont pas forcément à proximité. Mon idée est de rester tout de même près du relief.
Je survole les arbres en reculant et, dans mon esprit, je refuse de poser sur un arbre car c’est trop galère après pour récupérer l’aile sans trop l’abîmer. En vallée de la Pia, je vois le terrain dit de « foot » mais là, c’est pas la même histoire que la semaine dernière où j’avais pu poser. En cet après-midi, je vois bien les feuillages d’arbres qui sont bel et bien agités et je n’ai pas trop envie d’y laisser ma vie ou autres problèmes musculo-moteurs. Je reste donc sur ma première idée de rester près du relief en attendant le bon moment et la bonne planche qui veut bien m’accueillir (ça, c’est dans le meilleur des cas). Tout arrive à celui qui sait attendre. Au sol, je vois bien branches et feuillus se faire remuer par une aérologie tonique. Je me retrouve forcément sous le vent de talus et arbres alors je suis très attentif à tout mouvement de l’aile même si j’en ai pas la totale maîtrise (sinon je n’en serai pas là). Je vire mon aile par la gauche (il ne faut pas la contrarier) pour être vent de cul dans un but de choisir un lieu autre que celui où je me trouve.
Le lieu choisi atteint, je vire pour me retrouver face au vent, je gère tant bien que mal mes basses vitesses et quand je me retrouve dans le bon alignement, en début de planche, le fait d’enfoncer un peu plus les commandes, mon aile plonge en avant je ne sais trop comment, me voila à taper du cul le sol. Aïe aïe … que ça fait mal pour mon pauvre dos déjà bien tassé par les années de labeur à soulever mes patients.
Question : la clé aurait-elle sautée ou bien ai-je été victime d’une zone rouleau derrière obstacle ? Bref… calmement, je me relève, je plie l’aile et me voilà à devoir crapahuter tout en ne se sachant pas vraiment où je me trouve précisément. Je dois me tracer un chemin. Je pars l’aile sous le bras et la sellette sur mon dos (j’avais laissé mon sac de portage sur la planche). Avec cette charge, je me dis qu’il est idiot d’avancer de la sorte d’autant que j’avance en traversant planches et sous bois.
Finalement, je mets à l’abri mon matériel et je m’en repars beaucoup plus léger et moins encombré pendant que mon ami Henri, parti avec son véhicule, me cherche. Tout est bien qui finit bien, matériel récupéré, nous voila enfin repartis à voler pour deux autres vols dont un que je mène jusqu’à la pyramide. Voila … il n’y aura pas eu que du négatif mais maintenant je me trimbale un mal au dos plus accentué …. grrrrrrrrr
Paul

L’analyse et les conseils de Jérôme Canaud
Merci à Paul qui nous permet de regarder cette vidéo et de tenter d’y apporter une analyse pour comprendre le déroulement et comment cela aurait pu être éviter, ou si une autre gestion de l’incident aurait été possible.
Il a aussi fait une auto-analyse de ce qu’il a vécu et il est intéressant de voir qu’il y a une différence entre ce que l’on pense vivre et ce qui se passe réellement.
Contexte
Paul est sur un site qu’il connait et qu’il fréquente régulièrement. Le vent (ou la brise) est soutenu à ce moment là (environ 15/20 km/h à vue de nez en voyant le comportement de la voile au gonflage).
Il décolle avec une clé sur les freins et les arrières côté gauche qui déforme légèrement le bord de fuite (c’est bien visible à 1min, au moment du gonflage face voile et en l’air à un moment du vol). Cela entraîne une dérive peu marquée vers la gauche.
Cette clé se cumule avec un vent soutenu de travers droit donc parallèle à la pente.
Le pilote se retrouve dans une masse d’air plutôt descendante, face à un vent assez fort qui le fait reculer lentement, il avance par moment.
Le pilote finit par poser face au vent dans des champs en terrasse.
La manche à air à gauche du terrain étant souvent travers droit même quand les conditions sont bonnes, il n’a pas jugé utile d’aller plus loin dans l’analyse aérologique.
Analyse, questions que l’on peut se poser et différentes solutions pour éviter ce genre d’incident qui finit bien dans notre cas
– La force de l’habitude
Le pilote connait bien le site, donc le risque c’est de ne plus faire une analyse aérologique du moment. Vent de face pas trop fort, on y va. Au niveau aérologie, on s’aperçoit, au moment du décollage, que le vent est bien travers droit (manche à air) et pas du tout perpendiculaire à la pente. Est-ce du vent météo ? Une brise pas encore installée ? En tout cas, il est sûr que la pente n’aura aucun rendement aérodynamique et on le voit : le pilote décolle et descend le long de la pente. Il doit se mettre face au vent donc faire un complet quart de tour à gauche. Le vent vient bien de la droite et se canalise dans cette vallée. Peut être que plus d’observation aurait permis de voir que l’aérologie à ce moment là n’était pas top.
– Au niveau de la clé
2 gonflages face voile permettent de bien voir la clé sur la droite (niveau bord de fuite, extrémité gauche de l’aile). Voilà un des intérêts du gonflage face voile, c’est un contrôle visuel complet possible de tout le cône de suspentage.
Là, le pilote ne l’a pas vu. Son collègue non plus d’ailleurs ! Pensez, quand vous volez à plusieurs, au « double check », chacun vérifie l’autre pilote !
Le pilote se retourne, est en appui ventral et part en vol. Là, il s’aperçoit bien que la manche à air est complètement travers droit.
> Il y a la possibilité d’en tenir compte en orientant sa voile face au vent, voire à reposer en s’apercevant que le vent est mal orienté.
> Au moment du décollage, voyant que ce n’est pas super, il est largement possible de ne pas continuer le vol et de reposer au déco car l’aérologie, la force du vent, la direction du vent, la topographie le permettent sans problème.
– En vol
Paul s’aperçoit très vite que le vent venant de la droite est soutenu et va l’empêcher d’aller où il veut. Donc, il est bon de penser déjà à un atterro d’urgence, il y en a pas mal autour de lui (champs en terrasse dans la pente bien orientés par rapport au vent).
Comme il s’aperçoit également qu’au niveau pilotage, la voile a tendance à partir à gauche, il est bon de regarder ce qui se passe au niveau des suspentes et de la voile afin de tenter de résoudre le problème. Là, il me semble que c’est une clé entre la patte de frein et les suspentes hautes des « C ».
> Le pilote, tout en gardant sa voile face au vent (frein droit+appui sellette droit) peut utiliser sa main gauche pour tirer par à-coups sur les suspentes basses correspondantes à la clé (c’est à dire coup de frein et aussi à-coups sur la suspente arrière basse extérieure).
En regardant les images, on s’aperçoit que le pilote ne tente pas de gérer la clé (il ne regarde jamais en haut à gauche). Il est concentré sur des terrains posables et sa trajectoire sol (il recule de temps en temps).
Le pilote a la chance qu’il existe dans le secteur (en dessous de lui et derrière lui ) quelques grands terrains plats en terrasse posables avec la longueur du champ dans l’axe du vent et avec peu d’obstacle. Plutôt positif tout ça.
Le pilotage va donc consister (et c’est technique) de choisir un terrain sous le vent de sa position et s’y présenter au vent sur le côté (amont ou aval) et de gérer sa trajectoire en tenant compte de la clé à gauche.
> Cela ressemble à un exercice de pilotage que l’on peut faire : approche en PTU avec une oreille que d’un côté jusqu’au posé. La difficulté ici, c’est que cet exercice devient technique dans un contexte de stress.
> Autre possibilité de pilotage : descendre plus vite (2 oreilles+ accélérateur) pour reculer moins longtemps donc moins loin !
Paul doit se mettre face au vent donc faire un complet quart de tour à gauche. On voit que le vent est bien travers droit
Il utilise son accélérateur au 2ème barreau et on s’aperçoit que, jambes tendues, il n’a que 50% d’accélération. Un bon réglage de l’accélérateur doit permettre une accélération à 100% en cas de besoin !
Conclusion
En tenant compte du récit de Paul et des images embarquées, on se rend compte que le pilote a mis tout le problème sur la clé, alors que je pense qu’il y a une erreur ou une absence d’analyse aérologique. Le problème principal est une aérologie pas adaptée au site sur lequel on rajoute une clé + accélérateur mal réglé + technique approximative d’une approche en PTU dans la pente.
J’espère avoir apporter quelques éléments d’analyse de cette vidéo, ainsi que des propositions pour gérer ce type d’incident.
Vos remarques sont les bienvenues.
Jérôme Canaud
Ecole Courant d’R La Réunion – page Facebook
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Certains clubs, lors de réunion, prévoient 15 à 30 min dédiées à une « séance confesse », des moments informels de partage d’expériences entre pilotes à propos d’incidents/accidents de vol.

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