Incidents en cascade suite à un surpilotage après frontale
Matthieu, passionné de parapente, vole beaucoup en peu de temps sur des sites variés*. Il a fait des stages thermiques et SIV. Il utilise des voiles de performance (ADVANCE Sigma 9 sur cette vidéo).
Il vole le long d’une crête à Ténériffe, il est face à un vent de 10 km/h, aérologie d’après-midi. Il est à la hauteur de la crête et vole pour rejoindre le côté plus au vent en passant des lignes de crêtes perpendiculaires au relief qu’il suit.
Un premier incident de vol (fermeture frontale ?) ou pas, surprend le pilote qui part sur un décrochage avec une grosse bascule du corps vers l’arrière. La remontée des mains est dissymétrique, ce qui engendre une abattée vers la droite et une belle cravate à droite. L’autorotation qui s’ensuit est immédiate. Le surpilotage (action aux freins inadéquate entraînant une cascade d’incidents) qui suit finit par provoquer un 2ème décrochage qui enlève la cravate. Le pilote perd alors sa poignée droite, ce qui «permet» à la voile de revoler sans être surpilotée.
* voir l’article M@tthieu a le déclic : 3 stages parapente d’affilée et 100 h de vols

L’analyse et les conseils de Jérôme Canaud
L’analyse aérologique de Mathieu est correcte, vent de face (brise générale), on distingue un vent météo (nuages brossés vers la gauche) venant de la gauche mais à mon avis beaucoup plus haut et ayant peu de conséquences sur le vol, des pentes orientées au soleil générant des brises et un appui «dynamique». Donc oui, les crêtes perpendiculaires peuvent générer des turbulences, et aussi globalement des déclenchements thermiques plus forts peuvent avoir lieu (type de terrain, soleil, zone sous le vent,…).

Choix du cheminement / Le pilotage / Le matériel
Choix du cheminement
Au vu de l’analyse aérologique, le choix du type de cheminement me surprend. On voit que d’autres pilotes ne choisissent pas la même trajectoire. Un est plus haut (au dessus du relief) et plus dégagé en plaine. Le 2ème est plus bas et plus éloigné du relief et plus en avant (il est déjà dans la zone au vent je pense).
La 1ère possibilité plus lente mais plus relax est de monter en thermique avant d’avancer pour se trouver dans des zones loin du relief, plus confortables.
La 2ème technique pour remonter une crête face au vent est de se coller au relief pour bénéficier de la brise de pente et aussi du gradient de vent (qui nous contre). Beaucoup plus rapide mais demande d’être extrêmement attentif car on est près du sol. Cette technique demande de l’expérience.
Ici, le pilote choisit une solution intermédiaire, c’est-à-dire un vol à hauteur de crête en s’éloignant un peu. Qui peut rassurer mais n’est pas l’idéale.
On remarque aussi que le pilote souhaite avancer mais que sa trajectoire est plutôt descendante, c’est-à-dire qu’il descend sous la ligne de crête, donc se retrouve au fur et à mesure sous l’influence des crêtes qu’il doit franchir.
Mathieu fait une bonne analyse aérologique mais n’en tient pas compte sur son cheminement : trop d’optimisme, trop sûr de lui, méconnaissances?
Le pilotage
Dans l’ensemble, l’air n’est pas trop turbulent, par contre, on voit beaucoup d’actions aux freins pendant ce cheminement. En regardant les images, 2 éléments ont de l’importance et sont liés : le surpilotage et le déséquilibre du corps.
Lors du 1er décrochage, le corps ressent une très grosse bascule arrière (pieds plus hauts que la tête), cela va engendrer dans la plupart des cas un appui réflexe sur les commandes donc du surpilotage. Le déséquilibre du corps, aussi latéral, entraîne une abattée vers la droite, cause de la cravate.
Pour sortir de ce type de cravate, le décrochage (ou au moins la « marche arrière » ) est nécessaire. C’est là qu’une bonne analyse de la hauteur et l’expérience permettent d’envisager le décrochage sinon c’est secours.
Sur cet incident (cravate), c’est bien le surpilotage qui a engendré un 2éme décrochage permettant la sortie de la cravate. Et le fait que Mathieu perde sa commande a évité un 3éme surpilotage et a permis à la voile de revoler !!!
Ne pas hésiter à avoir des appuis fixes pour éviter que le corps parte dans tous les sens (se guider sur les élévateurs, ne pas écarter les mains, en marche arrière se « tenir » au niveau des maillons »,…des techniques que l’on apprend en stage SIV.
Un point important en pilotage (thermique, wagga, voltige,..) est d’apprendre et être capable de désolidariser les mouvements de son corps (déséquilibres, appuis sellette, rotation de la tête, …) et les mouvements de bras (pilotage, commande extérieure, débattement des commandes, rapidité d’exécution… Il faut donc tenir compte de la sellette (modèle, planchette ou pas, taille, position), les réglages…
Remarque sur le « surpilotage »
Quand la voile est sortie du domaine de vol (décrochage par exemple), le surpilotage qui entretient la voile hors du domaine de vol se fait avec très peu de commandes. On pense souvent à tort que le surpilotage a lieu avec les mains très basses. Un exemple d’une manoeuvre de voltige entretenue avec très peu de commandes est l’hélicoptère. En hélicoptère, la voile est en parachutale maintenue, et un déséquilibre peu marqué des commandes permet une rotation sur l’axe de lacet. La voile reste hors du domaine de vol avec très peu de commande.
Le matériel
Aile Sigma 9, taille 23 PTV (65-85 kg). Mathieu qui pèse 53 kg se situe en bas de fourchette (62-64 kg) – sellette light Kortel Karver 2.
Voile de performance ADVANCE Sigma 9, n’est ce pas trop au vu de la progression très rapide de Mathieu durant ses 3 années? Beaucoup de vols, de sites variés mais peut être pas assez de temps d’assimilation, manque de connaissances théoriques, une montée en performance des voiles trop rapide et pas nécessaire? Voilà des questions qu’on peut se poser.
Des stages SIV, oui c’est bien, très bien (indispensable) mais on remarque que vivre un incident de vol en réel et provoquer un incident de vol en air calme en milieu sécurisé n’a rien à voir. Là on a la surprise, la proximité du relief qui entraîne le surpilotage car on veut se battre pour sortir, la peur, la panique….
Le réglage de la sellette, un appui lombaire trop en arrière favorisera le déséquilibre du corps donc le surpilotage par appuis réflexes.
Le gabarit du pilote joue aussi, Mathieu n’est pas très lourd donc est surement en bas de fourchette de poids de la voile, cela entraîne une charge alaire faible donc une voile moins «solide», un décrochage avec moins d’effort aux commandes. Une sellette peut être (je suppose) un peu grande ne permettant pas un bon maintien du corps au niveau dorsal, une position trop en arrière, un manque d’appui latéral au niveau des cuisses.
Mental
Il est sur que ce genre d’incident qui aurait pu se finir de manière plus « brutale» doit affecter le capital confiance du pilote. Il faut en tenir compte. Reprendre confiance petit à petit en acceptant de voler un cran au dessous du niveau acquis lors de l’incident. Le but étant de regonfler son capital confiance petit à petit, ça prend du temps. Se faire plaisir, réapprendre, apprendre. Le matériel, les conditions aérologiques et ses objectifs doivent être adaptés et en adéquation avec cette nouvelle période de vol.
Merci à Mathieu de fournir ses images et d’accepter la critique et le regard extérieur, il est sûr que ça fait progresser.
Ce n’est que mon point de vue donc n’hésitez pas à étoffer, critiquez!
Jérôme Canaud – site Courant d’R – Page Facebook

L’article sur cet incident suscite des questions de pilotes… Voici les réponses de Jérôme!

Question du pilote Mathieu
Merci pour votre article et la contribution de Jérôme Canaud auquel je voulais poser la question : un décrochage volontaire est-il une possibilité de reset complet de la voile (à condition d’avoir la hauteur suffisante)? Je sais après coup que cet incident était gérable et je ne l’ai pas géré de manière adéquate…
La proximité du sol entraîne du surpilotage…
Oui, le décrochage asymétrique (cote cravate) de manière complète et rapide permet de tenter d’enlever la cravate si elle n’est pas trop grosse. Dans le cas de Mathieu, il est nécessaire de faire un décro complet symétrique et c’est la « marche arrière » (avant le décro complet, plus stable, voile ouverte dans toute l’envergure) qui va « chasser » la cravate. Dans le cas de Mathieu, on a plutot affaire à du surpilotage en essayant de faire au mieux, avec rotation, et proximité du relief. L’ideal étant une analyse (incident, hauteur sol) pour décider de tenter un décro complet afin de résorber la cravate. Encore faut-il savoir le faire, être capable de le faire près du sol dans un contexte de panique. Sinon c’est secours. Là, tout rentre dans l’ordre mais à mon avis sans l aide du pilote ( ce n’est pas une critique). Ayant deja vécu des incidents à gérer, la proximité du sol entraîne du surpilotage….
Questions de Matteo
1) Etait-ce vraiment un décrochage en premier lieu? Cela me surprend qu’une voile puisse décrocher aussi facilement mais je ne suis pas expert des classes C.
Non, le premier incident n’est pas un décrochage, je pense. Plutôt une frontale qui surprend le pilote qui en freinant décroche. C’est le déséquilibre du corps lors de la bascule arrière puis l’abattée asymétrique qui provoque la cravate. Je ne pense pas qu’une aérologie même forte (cisaillement vertical) provoque un décrochage de l’aile sans action aux freins….
2) On dit « Pour sortir de ce type de cravate, le décrochage (ou au moins la «marche arrière») est nécessaire. » Mais il me semble que la cravate tient fermé 1/3 de l’aile (on voit encore bien le logo ADVANCE qui marque le milieu de l’aile). Avec une fermeture de ce type, on devrait encore pouvoir voler droit (avec la réaction appropriée) et même aller se poser sans tirer son secours (car tirer un secours non dirigeable apporte plein de danger en plus). J’ai trouvé cet article très intéressant mais il me semble qu’on aurait dû plus mettre en avant un comportement du type « maintient du cap ET de la vitesse » en utilisant le plus possible le contre-sellette et pas de frein. Puis, dans un deuxième temps, quand la situation est stabilisée, on s’occupe de cette cravate
Tu as raison, je n’ai pas abordé le thème « maintien du cap » puis aller poser avec une cravate. Je réagis plutôt à ce que le pilote vit et ce qu’il a tenté de faire. On ne peut pas comparer une cravate et une fermeture asymétrique. Une cravate provoque beaucoup plus de traînée qu’une fermeture et celle-ci va plutôt vers une réouverture autonome (plus ou moins rapidement), ce qui n’est pas le cas de la cravate. Le tissu reste coincé, est perpendiculaire au vent relatif et peut se regonfler en partie donc amplifier la rotation.
Avec ce type de cravate + type d’aile, le pilote peut tenter un contre pour contrôler son cap. Le contre sera surtout à la sellette (proportion cravatée + type d’aile) et un peu de commande. Vu la proportion cravatée, même avec un contre pas sûr que ça puisse voler droit ou au moins d’aller poser facilement en sécurité. Je ne parle pas de la position du pilote et du terrain qu’il survole, pas très facile de choisir un endroit posable serein.
Oui, je pense qu’avec une aile plus accessible, celle-ci accepterait un contre frein (indispensable) plus important pour voler droit et choisir de partir tenter un atterrissage en sécurité.
Oui, sur un thème plus général » comment gérer une cravate », il faut parler du contre (frein + sellette) pour garder son cap puis gérer la cravate (décro asymétrique côté cravaté à plusieurs reprises pour chasser le bout d’aile coincé) ou si elle n’est pas gérable aller poser. Ce pilotage (contre) fonctionne bien sur de petites cravates. Sinon, il faut passer à autre chose et tirer le secours devient une possibilité à envisager.
NB: il faut savoir que quand on décroche asymétriquement et à plusieurs reprises (de manière brutale) pour chasser une cravate, il faut accepter de le faire avec la voile qui continue à tourner coté cravaté (la voile doit garder de la vitesse). Cela fonctionne si on a du « gaz » , sinon le décro complet (en s’arrêtant à la marche arrière ») est plus approprié car on perd moins de hauteur (qu’en spirale).
Ici, j’ai plutôt voulu mettre l’accent sur le déséquilibre du pilote, le surpilotage, les conséquences de la proximité du sol.
J’espère t’avoir apporter quelques informations.
Jérôme
En conclusion
Souvent on entend des pilotes, « on m’a dit ça », « ce moniteur m’a dit ça », » j’ai lu que » ….on peut voir de nombreuses différences voire des contradictions CAR LE CONTEXTE EST TOUJOURS ABSENT!!
Un exemple : la gestion d’une fermeture asymétrique est complètement différente si c’est une voile d’apprentissage ou loisir, une voile de performance, une voile de compet… Ces différences peuvent sembler très contradictoires avec des consignes complètement opposées
On dira à un pilote débutant sous une voile d’apprentissage/loisir, que suite à une fermeture de 40%, il est préférable qu’il reste bras haut et laisser la voile s’auto-démerder.
Avec une voile de performance, le pilote devra avoir une action de pilotage pour résoudre l’incident, et on parlera de contre (frein+sellette) dosé pour éviter le sur-pilotage.
Avec une voile de compet qui n’acceptera pas (ou très peu de contre-sellette et frein), le pilote devra se pencher coté fermé pour penser à piloter la réouverture car l’objectif est que la voile garde de la vitesse.
Donc sur un même incident à gérer, les actions peuvent être carrément opposées en fonction du contexte (ici le matériel).
Question de Pascal
Près du relief le mauvais réflexe est de freiner la voile en se fiant visuellement à sa vitesse-sol. Évidemment, on risque la sous-vitesse « air ». Un petit virage en oubliant de remonter préalablement la commande extérieure et la sanction est immédiate : départ en négatif. Est ce que Matthieu n’a pas à ce moment tendance à maintenir les mains trop bas? Pourquoi 15 cm de rab sur la drisse de frein à la poignée, c’est bizarre, non ? Peut-être un petit réglage à vérifier ?
Oui dans le cas où on est vent arrière prés du sol, le pilote peut avoir tendance à freiner car impressionner par cette vitesse-sol. Là, on n’est pas du tout dans ce cas car le pilote est face au vent donc « voi » une vitesse sol faible …
Le rab (appelé la garde) d’au moins 10 cm entre le haut de la poignée et la poulie lors de la 1ère tension sur la drisse de frein a plusieurs objectifs :
– permettre à la voile d’abattre sans volet de frein. cela permet un effet « reflex » du bord de fuite (le bord de fuite remonte donc agit comme un volet) qui va limiter l’amplitude de l’abattée. Avoir des freins réglés trop courts (sans suffisamment de garde, par rétrécissement dû au vieillissement, ou par une accumulation de torons) va empêcher ce « réflex » donc peut favoriser des abattées plus fortes. On pourrait penser l’inverse.
– Quand on accélère, la voile bascule autour des élévateurs arrières (« C » ou « D ») qui gardent la même longueur. Le bord de fuite « monte » donc la garde de frein diminue. S’il n’y a pas de garde, le fait d’accélérer tend la drisse de frein voir freine la voile. On vérifie cela en accélérant à fond , ou pour les biplaces en relâchant complètement les trims (rallonger les ARet donc bascule de la voile autour des « A »).
Pour le vol en thermique, en voltige, il est alors nécessaire de « rattraper » cette garde :
– soit en faisant un 1/2 de frein autour de sa main (appui sur le tranchant de la main)
– soit en prenant les freins en dragonne (traction entre le pouce et l’index).
Les objectifs sont alors :
– rendre le pilotage plus confortable car on travaille en traction sur la commande (et non en appui )
– le pilotage est plus précis car on tient directement la drisse de frein pas élastique donc directement en lien avec le bord de fuite.
– Le fait de travailler en traction permet de moins fatiguer sur les vols longs.
On sera attentif à différents points :
– quand il fait froid, le 1/2 t de frein cisaille un peu plus la main
– en dragonne, on peut avoir des crampes entre pouce et index si on ne se relâche pas de temps en temps
– le 1/2 de frein peut favoriser le sur-pilotage en cas de sortie du domaine de vol.




